JOKER : FOLIE À DEUX (2024)

Cette suite des mésaventures du clown macabre revêt la forme inattendue d’une comédie musicale dépressive. La blague de trop ?

JOKER : FOLIE A DEUX

2024 – USA

Réalisé par Todd Philips

Avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson, Catherine Keener, Zazie Beetz, Steve Coogan, Harry Lawtey, Leigh Gill, Ken Leung, Jacob Lofland, Bill Smitrovich

THEMA SUPER-VILAINS I SAGA DC COMICS

Pourquoi diable Todd Phillips, humble faiseur de comédies plus ou moins légères (la trilogie Very Bad Trip, Starsky et Hutch), ayant pleinement profité du système, s’est-il soudain autoproclamé artiste maudit pourfendeur d’Hollywood ? A l’instar de son « héros » à qui l’on demande constamment s’il a une histoire drôle à raconter, le réalisateur en aurait-t-il eu plus qu’assez de faire ce qu’on lui demandait ? L’engouement massif suscité par le Joker premier du nom avait pourtant démontré qu’il était encore possible aujourd’hui de livrer une œuvre nihiliste au rythme lent et de toucher un large public. La performance alors exceptionnelle de Joaquin Phoenix, tantôt pathétique tantôt terrifiant, les intelligentes trahisons faites au matériau d’origine (notamment le handicap du personnage justifiant son rire nerveux), et le soin tout particulier apporté à la mise en scène et à la photographie, parvenant à émuler l’atmosphère et le grain cafardeux des 70’s, autant de qualités indéniables qui permettaient d’oublier des influences envahissantes (La Valse des pantins et Taxi Driver en tête) ainsi qu’un manque de subtilité embarrassant dans le traitement du sujet de fond (face aux méchants riches, seuls l’anarchie et le chaos prévalent).

Heureusement, le film se terminait nappé d’une ambiguïté plus intéressante, voyant un psychopathe devenu symbole de liberté porté aux nues dans un asile à ciel ouvert. Philipps avait donc déjà scruté jusqu’au vertige son monstre en devenir et souligné le fait qu’il soit le seul à s’esclaffer quand il faudrait pleurer, offrant le triste miroir d’un monde à la dérive ne sachant plus où se situe son humanité. Las, la séquelle qui nous occupe ici ne s’avère être qu’une indigente thérapie à 200 millions de dollars, échouant sur tous les tableaux avec une arrogance horripilante. Mauvais film de procès ne cessant de ressasser ad nauseam les éléments du premier volet cités plus haut, analyse pachydermique des maladies mentales enfonçant des portes ouvertes, piètre comédie musicale (ce cher Todd n’a pas dû en regarder beaucoup, ou alors seulement La La Land) à la mise en images banale, aux textes sur-explicatifs des tourments des protagonistes et aux arrangements chouinants de pub télé, l’œuvre manque qui plus est cruellement de la folie promise dans son titre, n’atteignant jamais de véritable alchimie entre réalisme et fantasme (au contraire de Dancer in the Dark de Lars Von Trier auquel le réalisateur emprunte beaucoup).

Joker in the Dark

Les rares défenseurs du film (dont un Quentin Tarantino en plein ego trip qui y a fantasmé son Tueurs nés revisité) clameront que ce cuisant échec public et critique donne raison à son orchestrateur et à son doigt d’honneur visant la vénalité de Warner et DC. La triste vérité est tout autre : ce doigt d’honneur s’adresse avant tout aux spectateurs et à leurs attentes légitimes, Phillips refusant en bloc de faire autre chose que du surplace 2h18 durant, se moquant complètement du Joker (Phoenix, anesthésié, en est ici réduit à jeter constamment la tête en arrière en crachant sa fumée de cigarette), de ses illusoires amours avec Harley Quinn (pauvre Lady Gaga qui se retrouve avec bien peu à exprimer) et de l’univers qu’il a lucrativement investi. Jack Burton et The Thing s’affirmaient comme des gestes artistiques rebelles absolus au sein d’un système hollywoodien oppressif, Gremlins 2 affichait le panache d’un superbe suicide commercial, Kill Bill 2 et The Devil’s Rejects proposaient de véritables remises en question de leurs prédécesseurs… Joker 2 se borne à ériger un monument de prétention bêtement symptomatique du cynisme faussement décalé de son époque.

 

© Julien Cassarino


Partagez cet article