TIGER STRIPES (2023)

Gratifié du Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes et censuré à son retour dans son pays d’origine, un film horrifique joyeusement campy…

TIGER STRIPES

 

2023 – MALAISIE

 

Réalisé par Amanda Nell Eu

 

Avec Zafreen Zairizal, Piqa, Deena Ezral, June Lojong, Khairunazwan Rodzy, Shaheizy Sam, Fatimah Abu Bakar, Bella Rahim, Ti Arneez, Natasha Rafizi

 

THEMA MUTATIONS

Amanda Nell Eu a grandi à Kuala Lumpur. À onze ans, elle rejoint sa grand-mère au Royaume-Uni où elle achèvera ses études. Après deux court-métrages, It’s Easier to Raise Cattle et Vinegar Baths, qui mettent en scène des monstres féminins, la réalisatrice malaisienne, libre et fougueuse, exprime avec Tiger Sripes à la fois son amour du fantastique et du folklore malaisien. Elle rend particulièrement hommage aux vieux films fantastiques malais en noir et blanc comme Revenge of the Pontianak (1957) ou à ceux distribués en Malaisie par la Shaw Brothers. C’est eux qui sont à l’origine de la création de Tiger Stripes. « Je voulais avoir dans le film des effets avec ce rendu organique, en jouant sur les lumières », explique-t-elle. « Nous avons fait réaliser des effets visuels mineurs à Taïwan, mais les maquillages spéciaux sont effectués par des artistes malaisiens que j’admire beaucoup. Avec mon directeur de photographie Jimmy Gimferrer, nous nous sommes inspirés aussi d’un film japonais des années 1970 : House (Hausu) de Nobuhiko Ōbayashi. » (1)

Tiger Stripes, que l’on pourrait traduire par « Camouflage » (celui qui évoque les rayures du tigre), met en scène Zafaan (Zafreen Zairizal), onze ans, dont la figure enthousiaste et souriante pourrait être emblématique d’une spécialité du pays, celle d’un islam tolérant qui cohabiterait paisiblement avec toutes les autres religions, même si cette harmonie semble de plus en plus menacée. Dans un contexte politique et religieux qui est également au centre des inquiétudes occidentales, il est cependant recommandé de se libérer de ce prisme pour regarder ce “feel-good movie”, joyeux par l’énergie et la soif de liberté que dégage son héroïne, tout comme sa réalisatrice. Car la jeune fille en pleine puberté se retrouve, à l’instar de la Carrie de Brian de Palma, à affronter le harcèlement d’ex-copines, la mutation de son corps accompagnée d’une force bestiale, de démangeaisons et d’excroissances qui la dénaturent et la déforment, rappelant les créatures du Règne animal de Thomas Cailley. Une drôle de créature se montre à elle dans un arbre, sorte d’appel à rejoindre la jungle, loin de ses congénères humains qui la mettent en rage.

Une fable sur l’émancipation

Puisant dans le riche folklore malaisien qui abonde en créatures fantastiques comme le « pontianak », la réalisatrice partage avec nous, et avec bonheur, son amour des monstres et des vieux films d’horreur asiatiques des années 50 qui l’ont inspirée. Servi par une bande originale envoutante et des éclairages qui subliment la jungle, ce film de série B qui célèbre le genre a séduit la critique cannoise, qui l’a couronné d’un Grand Prix de la Semaine de la Critique. A son retour de France, le film s’est malheureusement retrouvé amputé par la censure dans son pays d’origine, poussant la réalisatrice à officiellement renier cette version. Mais c’est bien le director’s cut qui est finalement sorti sur nos écrans. Zafaan nous y entraine dans sa danse libératrice, et telle un beau tigre féroce, elle n’est monstrueuse qu’aux yeux de ceux dont elle suscite l’incompréhension. Une magnifique fable où le thème de l’émancipation est central.

 

(1) Propos recueillis par Quélou en mai 2024

 

© Quélou


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