LUDO : LE JEU MAUDIT (2015)

Deux jeunes couples investissent un centre commercial après la fermeture et font soudain face à des phénomènes effrayants et mortels...

LUDO

 

2015 – INDE

 

Réalisé par Qaushiq Mukherjee et Nikon

 

Avec Rii Sen, Kamalika Bernejee, Soumendra Bhattacharya, Murari Mukherjee, Ranodeep Bose, Joyraj, Battacharjee, Anamya Biswas, Subholina Sen

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I CANNIBALES

Inscrit dans la mouvance du cinéma indépendant indien, Qaushiq Mukherjee, plus connu sous le surnom de Q, est un réalisateur, monteur, directeur de la photographie et documentariste radical, s’évertuant dans chacune de ses œuvres à décrire une jeunesse indienne en perdition, phagocytée par les traditions religieuses omniprésentes. Ses productions sont souvent crues, violentes et érotiques, suscitant de vives controverses comme en témoigne son succès critique et public Gandu (2010), chronique d’un jeune rappeur désœuvré qui navigue entre le vol d’argent (directement dans les poches de l’amant de sa mère) et la consommation de drogue avec un ami aussi paumé que lui. Filmé en noir et blanc, traversé par des séquences musicales punk-rock, violent et très explicite dans les scènes de sexe, Gandu est devenu un petit phénomène du cinéma underground indien et a subi une interdiction de diffusion en Inde, contribuant ainsi à sa réputation de brûlot poétique et social. On est extrêmement loin du Bollywood coloré et dansant s’étirant sur des durées interminables (Ludo et Gandu n’excèdent pas les 90 minutes). Engagé, Q est entouré d’une équipe fidèle au sein de sa société de production Overdose Joint, et dépeint une Inde rongée par l’ennui, les interdits et l’emprise religieuse et morale. Cette envie de dépoussiérer les codes et clichés du cinéma indien était déjà esquissée dans son autre incursion dans le fantastique avec The Land of Cards, en 2012, fable hallucinée et expérimentale inspirée d’une légende indienne.

Ludo ne déroge pas à la règle en suivant l’errance nocturne de quatre adolescents minés par l’ennui, qui ne cherchent qu’à s’amuser et faire l’amour dans une société puritaine et autoritaire. Au gré de leurs pérégrinations, ils finissent par échouer dans un centre commercial après la fermeture et décident de s’y installer. Ainsi, à l’abri des regards, ils peuvent enfin explorer les lieux et s’adonner aux plaisirs qu’ils recherchaient. Mais une présence maléfique ne va pas tarder à les traquer et les plonger dans un cauchemar mortel. Le premier tiers du film suit donc la virée de ces quatre amis, dans une Inde sclérosée par la corruption de la police et la crainte qu’elle suscite. Dans sa description brute et directe, Q inscrit son récit horrifique dans sa vision nihiliste et désenchantée d’une jeunesse sans avenir et contrainte dans ses désirs de liberté. Ces thématiques sont fondatrices de son cinéma et de ses propositions artistiques. Sa réalisation rugueuse, son montage abrupt – avec des ruptures de rythmes précises – et sa bande-son rock rappellent tout au long du métrage que Q vient du ciné underground, expérimental et épris de liberté.

Sang concession

Ainsi, les deux premiers tiers nous plongent dans un récit urbain et social, traversé d’une dose d’horreur brutale, avant de basculer presque sans prévenir dans une autre forme plus onirique, par le biais d’un flash-back sur les origines du fameux jeu maudit. Dès lors, le rythme et le ton changent, ainsi que l’époque, offrant une parabole à peine voilée du consumérisme et du capitalisme. Dès que le jeu vous séduit et vous prend dans ses filets, vous perdez, quelle que soit l’issue de la partie. Les antagonistes, couple maudit et immortel, prisonniers du jeu, sombrent lentement dans la monstruosité et le cannibalisme tout en conservant leur amour réciproque. Héros tragiques mais tueurs impitoyables, les amants traversent le temps en semant la mort, étanchant la soif de sang de ce jeu démoniaque. Et nos quatre amis en feront les frais rapidement. Rii Sen, fidèle de l’équipe d’Overdose Joint, campe ici une amante maudite, vouée à ne pas pouvoir mourir, en perpétuelle recherche de sang et de chair. Dans les autres rôles, de jeunes acteurs très convaincants et investis donnent vie à ce conte macabre qui arrive tout de même à captiver par son ambiance unique. Si Ludo est beaucoup moins expérimental dans sa forme que Gandu ou Land of Cards, il n’en reste pas moins une incursion singulière dans l’univers punk et irrévérencieux de Qaushiq Mukherjee.

 

© Christophe Descouzères


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