Des monstres baveux et tentaculaires, de l’érotisme débridé et des catastrophes à grande échelle sont au programme de ce film animé apocalyptique…
CHÔJIN DENSETSU UROTSUKIDÔJI
1989 – JAPON
Réalisé par Hideki Takayama
Avec les voix de Tomohiro Nishimura, Tsutomu Kashiwakura, Hirotaka Suzuoki, Kenyuu Horiuchi, Yasunori Matsumoto, Youko Asagami, Maya Okamoto
THEMA DIABLE ET DÉMONS
Prolifique créateur de mangas depuis le milieu des années 70, Toshio Maeda a très tôt voulu s’amender des bandes dessinées tout public pour explorer des contenus plus adultes, plus subversifs et plus érotiques. Si le champ des possibles est alors assez vaste en ce domaine, la représentation d’appareils génitaux masculins reste interdite par la censure. Maeda contourne le problème en utilisant des tentacules phalliques. « Dessiner des rapports sexuels était – et est toujours – illégal au Japon », confirme-t-il. « C’est notre grand casse-tête : comment créer des scènes sensuelles intenses ? Il nous a fallu trouver des astuces. J’ai donc conçu une créature avec des tentacules qui ressemblent à des pénis. Les créatures n’ont pas de sexe. Une créature est une créature. Ce n’est donc pas obscène, ni illégal. » (1) Cette imagerie, chère au genre « hentaï » alimente la culture nippone depuis fort longtemps, comme en témoigne par exemple la fameuse peinture « Le Rêve de la femme du pêcheur » de Hosukai (1814) qui décrit un accouplement zoophile avec une pieuvre. Mais Maeda l’a popularisée à grande échelle, notamment via son œuvre la plus célèbre, la série « Urotsukidoji » publiée à partir de 1985. Deux ans plus tard, le réalisateur Hideki Takayama adapte ce manga sous forme de trois moyens métrages en animation directement destinés au marché vidéo, puis les combine sous forme d’un film unique en 1989. Ce sera Urotsukidoji : la légende du démon.
En tout début de métrage, nous découvrons la mythologie sur laquelle va se construire le récit. Trois mondes parallèles coexistent : le monde des Ninjinkaï, c’est-à-dire le nôtre ; le monde des Makaï, autrement dit les démons ; et le monde des Jujinkaï, des êtres mi-humains mi-bêtes. Ces univers cohabitent selon un équilibre fragile, mais une légende vieille de trois millénaires annonce la venue prochaine du Chojin, un être aux immenses pouvoirs qui saura réunir ces trois mondes en un grand tout harmonieux. Envoyé chez les humains depuis 300 ans, l’homme-bête Amano cherche désespérément qui sera le nouveau Chojin. Il est crucial qu’il le trouve avant les démons qui, eux aussi, sont sur sa trace. Il se pourrait que cet être tant convoité se cache sous les traits d’un étudiant de l’université Myojin. Le choix d’Amano se porte sur Osaki, vedette de l’équipe de basket. Mais sa sœur, femme-bête elle aussi, penche plutôt pour Nagumo, un lycéen un peu idiot victime de harcèlement. Alors que ce dernier commence à découvrir ses nouveaux pouvoirs, Amano découvre que quelque chose ne tourne pas rond. Et si le Chojin n’était pas une créature de paix mais un monstre dont les pouvoirs menacent le monde entier ?
Tous les excès sont permis
Tout le paradoxe d’une certaine culture populaire japonaise jaillit sur l’écran d’Urotsokidoji. Les petites créatures comiques, les écolières mignonnes et les romances sirupeuses côtoient les monstres visqueux, le gore le plus outrancier et l’érotisme graveleux et déviant. Côté « body horror », toutes les limites sont allègrement franchies : les corps se déchirent, les chairs se disloquent, les ventres s’ouvrent pour déverser des litres de substances visqueuses, les membres s’arrachent et expulsent des tentacules pantelants, les visages se déforment, se multiplient, se garnissent de crocs acérés et de langues démesurées. C’est comme si The Thing se multipliait par cent, comme si Giger s’accouplait avec Bosch, Druillet et Brueghel. Tandis que le sang, le feu, le sperme et toutes sortes de substances indéterminées aspergent les personnages sans la moindre retenue, le film de Takayama multiplie les images apocalyptiques et dantesques, comme ces centaines d’hommes et de femmes qui hurlent tandis qu’un hôpital se mue en antichambre de l’enfer et qu’un démon colossal digne de Lovecraft s’en extirpe. Sans compter ces visions parfaitement surréalistes d’un Enfer peuplé de créatures dont l’anatomie défie l’entendement, ou cette vision d’un futur cataclysmique où des femmes à quatre seins d’accouplent avec des démons ou sont pénétrées par des tentacules. La gratuité manifeste et provocatrice de certains passages d’Urotsukidoji peut laisser perplexe, mais le jusqu’au-boutisme de ce film fou et la qualité de sa réalisation feront date dans l’histoire du cinéma d’animation japonais. Deux autres longs-métrages seront produits dans la foulée : Urotsukidôji : Birth of the Overfiend (1990) et Urotsukidôji : Curse of the Overfiend (1990).
(1) Extrait d’une interview parue dans « Sake-Drenched Postcards » en janvier 2003
© Gilles Penso
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