THE SUBSTANCE (2024)

Pour être toujours au top à Hollywood, les actrices doivent savoir rester jeunes et belles… Oui, mais à quel prix ?

THE SUBSTANCE

2024 – FRANCE / GB / USA

Réalisé par Coralie Fargeat

Avec Demi Moore, Dennis Quaid, Margaret Qualley, Edward Hamilton-Clark, Gore Abrams, Oscar Lesage, Christian Erickson, Robin Greer, Tom Morton

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I DOUBLES

« Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Ce message énigmatique résonne sur le téléviseur d’Elizabeth Sparkle (Demi Moore), une ancienne gloire oscarisée dont l’étoile sur Hollywood Boulevard s’est mise à pâlir au fil des ans – ce que montre le très efficace plan-séquence elliptique sur lequel s’ouvre The Substance. Pour prolonger sa carrière déclinante, Elizabeth anime une émission d’aérobic à succès, mais même ce second souffle s’épuise. Passée la cinquantaine, la star déchue n’intéresse plus les chaînes de télévision, en quête d’un visage – et d’un corps – plus jeune. Au volant de sa voiture, distraite par le spectacle déprimant des affiches à son effigie en train d’être démontées, elle est victime d’un accident qui la conduit illico à l’hôpital. Plus de peur que de mal. Mais avant qu’elle rentre chez elle, un jeune et séduisant infirmer lui remet une clé USB en lui glissant au coin de l’oreille : « ça a changé ma vie ». Et voilà Elizabeth devant sa télévision, face à un clip vidéo intriguant vantant les mérites de « la substance ». Ce sérum miracle est censé générer une version « plus jeune, plus belle et plus parfaite » de soi-même à condition d’en respecter scrupuleusement le mode d’emploi. Notre actrice devenue « has been » va-t-elle se laisser tenter ?

Sept ans après son premier long-métrage, Coralie Fargeat nous propose donc une déclinaison clinique autour des mythes de Faust et de Dorian Gray en repoussant très loin les limites du fameux « body horror » cher à David Cronenberg. Demi Moore excelle dans le rôle de la star vieillissante. Tout au long de sa carrière, l’actrice aura su habilement jouer avec son propre corps, le métamorphosant dans À armes égales, le muant en objet de désir monnayé dans Strip-tease ou d’âpres négociations dans Harcèlement, bref détournant son apparence physique pour en montrer les atouts, les travers et les faux-semblants. Elle semblait la candidate idéale pour entrer dans l’univers trouble de la réalisatrice. Pour incarner sa version rajeunie, Fargeat opte pour Margaret Qualley, fille d’une icône hollywoodienne synonyme de charme et d’élégance, en l’occurrence Andie MacDowell. L’effet miroir et la mise en abyme fonctionnent ainsi à plein régime, les deux actrices fusionnant à l’écran dans des conditions de tournage qu’on image par moments délicates, pour ne pas dire inconfortables. Au beau milieu de ce dédoublement surnaturel, Dennis Quaid se délecte visiblement dans le rôle du producteur macho, vulgaire et hypocrite, prenant le relais du regretté Ray Liotta qui était initialement pressenti dans le rôle – et auquel le générique de fin rend hommage.

Beauté fatale

Certains travers de Revenge n’ont pas totalement disparu de The Substance, notamment le portrait unilatéralement détestable de l’ensemble des personnages masculins – tous idiots, frustres et obsédés sexuels -, la complaisance un tantinet puérile avec laquelle Fargeat filme les fesses de ses actrices et surtout quelques raccourcis scénaristiques difficiles à avaler (comme la transformation soudaine de l’héroïne en spécialiste de la chirurgie, du bâtiment et de la construction). Mais il faut saluer l’incroyable inventivité de la mise en scène, traduisant les perceptions exacerbées d’Elizabeth et de son alter-ego à travers des choix de focale déstabilisants, un sound design « sensitif » perturbant, un jeu étrange sur les cadrages symétriques et les couleurs saturées, une musique électronique entêtante… Et puis il y a bien sûr le jusqu’au-boutisme hallucinant de la mutation physique de notre infortunée protagoniste. Poussé dans ses retranchements par l’exigence de la réalisatrice, Pierre-Olivier Persin concocte des effets spéciaux de maquillage surréalistes qui évoquent tour à tour La Mouche, Society, Le Blob mais aussi Picasso et Bacon. Par-delà l’apothéose horrifico-organique vers laquelle s’achemine The Substance, on notera une discrète référence au film précédent de Coralie Fargeat via une boucle d’oreille en forme d’étoile. Cette autocitation semble vouloir lier les deux films au-delà du simple clin d’œil. Finalement, Revenge et The Substance abordent un thème voisin, celui de la femme que le regard de l’homme pousse à devenir quelque chose d’autre, fut-ce un ange exterminateur ou un monstre. Présenté en première mondiale au 77e Festival de Cannes, The Substance y a remporté le prix du meilleur scénario.

 

© Gilles Penso


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