SPEAK NO EVIL (2024)

Habité par son rôle de psychopathe exubérant, James McAvoy tient la vedette de ce remake américain de Ne dis rien

SPEAK NO EVIL

 

2024 – USA

 

Réalisé par James Watkins

 

Avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi, Alix West Lefler, Dan Hough, Kris Hitchen, Motaz Malhees, Jakob Højlev Jørgensen

 

THEMA TUEURS

L’idée d’un remake du glacial Ne dis rien de Christian Tafdrup pouvait sembler parfaitement incongrue, uniquement mue par l’appât du gain des studios hollywoodiens et les mauvaises habitudes prises par le grand public outre-Atlantique. Pourquoi risquer de distribuer sur le territoire de l’Oncle Sam un film dano-hollandais avec des acteurs inconnus alors qu’une version américaine avec un comédien populaire en tête d’affiche a de plus grandes chances d’attirer les spectateurs en masse ? Tel fut le raisonnement tristement logique du producteur Jason Blum au moment de la mise en chantier de Speak No Evil, deux ans seulement après la sortie du film original (dont la plupart des dialogues étaient pourtant échangés en langue anglaise, ce qui n’aurait pas dû représenter une barrière pour le public US). La réalisation de cette nouvelle version est confiée à James Watkins, à qui nous devons deux autres films de genre très remarqués : Eden Lake en 2008 et La Dame en noir en 2012. Ce choix est loin d’être inintéressant, dans la mesure où Tafdrup lui-même avoue s’être partiellement inspiré d’Eden Lake pour réaliser Ne dis rien. La boucle serait-elle en quelque sorte bouclée ?

Les nationalités des protagonistes ont changé mais la situation de départ reste rigoureusement identique. Pendant leurs vacances en Italie, Louise et Ben Dalton (Mackenzie Davis et Scoot McNairy), un couple d’Américains accompagné de leur fille de 12 ans Agnes (Alix West Lefler), se lient d’amitié avec Paddy et Ciara (James McAvoy et Aisling Franciosi), deux Anglais au tempérament volcanique, et avec leur fils Ant (Dan Hough), extrêmement timide et handicapé par une atrophie de la langue. De retour chez eux après les vacances, Louise et Ben reçoivent une lettre de Paddy et Ciara qui les invitent à séjourner quelques jours avec eux dans leur ferme isolée du Devon. Nos Américains biens sous tous rapports connaissant quelques problèmes de couple et leur fille souffrant d’une anxiété maladive qui la pousse à s’attacher à son lapin en peluche, ce petit séjour de détente dans la campagne semble être une bonne idée. L’accueil sur place est certes chaleureux, mais une série d’incidents et le comportement passif-agressif des hôtes gâchent un peu l’ambiance…

Surenchère

On le voit, Speak No Evil joue dans un premier temps la carte de la fidélité extrême à son modèle, qu’il reproduit presque plan par plan, réplique par réplique. Le montage ajoute certes des petites choses ici et là, accentuant surtout le caractère fantasque de Paddy, mais nous restons en terrain très connu. Ce que le remake cherche à apporter par rapport au film original, c’est d’abord une certaine légèreté de ton (l’humour noir y est frontalement assumé), quitte à forcer un peu le trait. Le scénario tient aussi à expliciter les incidents survenus dans le passé des protagonistes pour leur donner un peu de chair. L’intention est louable, même si nous aurions tendance à préférer les non-dits de Ne dis rien qui jouait habilement sur la suggestion. Speak No Evil s’éloigne surtout de son modèle au moment du dernier acte, différant la révélation finale pour distiller les informations plus en amont. L’objectif est manifestement de renforcer le suspense de la situation. Mais le final vire brusquement à la caricature, oubliant toute demi-mesure, surexpliquant tout, convoquant les fusillades, la pyrotechnie et les cascades, transformant McAvoy en émule hurlant et gesticulant du Jack Nicholson de Shining, bref caressant dans le sens du poil un public américain décidément jugé infantile. Le film reste très efficace, jouant habilement avec les nerfs des spectateurs, mais l’audace nihiliste de Ne dis rien cède ici le pas à une sorte de Vaudeville grandguignolesque qui tourne presque à la parodie et amenuise du même coup l’impact de l’œuvre originale – laquelle tournait justement le dos aux canons hollywoodiens.

 

© Gilles Penso


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