THE CROW (2024)

Trente ans après la romance noire fantastico-mélancolique concoctée par Alex Proyas, ce remake tente en vain d’en retrouver la formule miracle…

THE CROW

 

2024 – USA

 

Réalisé par Rupert Sanders

 

Avec Bill Skarsgård, FKA twigs, Danny Huston, Josette Simon, Laura Birn, Sami Bouajila, Karel Dobry, Jordan Bolger, Sebastian Orozco, David Bowles

 

THEMA FANTÔMES I SAGA THE CROW

Voilà un projet qui avait tout de la fausse bonne idée. Tenter de refaire l’un des films les plus culte des années 90, un joyau gothique mué en œuvre maudite suite à la mort de son acteur principal, c’était forcément risquer de se casser les dents. Mais à Hollywood, rien n’arrête la machine à remakes, et rares sont les classiques du genre ayant échappé à cette manie du recyclage. L’idée d’un nouveau The Crow ne date d’ailleurs pas d’hier. Dès 2008, la bande dessinée de James O’Barr prépare son retour sur grand écran à l’initiative du réalisateur Stephen Norrington. Mais les choses n’avancent pas. Au cours des années suivantes, un nombre incalculable de metteurs en scène est attaché un temps au projet, de Juan Carlos Fresnadillo, à F. Javier Gutiérrez en passant par Corin Hardy, tandis que les noms de Bradley Cooper, Luke Evans, Jack Huston ou Jason Momoa sont évoqués pour incarner le héros tragique. C’est finalement Rupert Sanders, le réalisateur de Blanche Neige et le chasseur et de la version live de Ghost in the Shell, qui hérite du bébé. Charge à lui de nous faire oublier les trois séquelles du film d’Alex Proyas (avec respectivement Vincent Pezez, Eric Mabius et Edward Furlong), tout comme la série TV avec Marc Dacascos, et de tenter un retour aux sources.

James O’Barr lui-même redouble d’efforts pour justifier la naissance de ce nouveau The Crow. « Nous ne refaisons pas le film », affirme-t-il. « Nous réadaptons le livre. Ma métaphore est qu’il y a un Dracula de Bela Lugosi et un Dracula de Francis Ford Coppola. Ils utilisent le même matériel, mais on obtient deux films totalement différents. Celui-ci sera plus proche de Taxi Driver ou d’un film de John Woo, et je pense qu’il y a de la place pour les deux. » (1) Force est de constater que l’auteur du comic book original se laisse un peu trop emporter. Malgré la volonté manifeste qu’a Rupert Sanders de bien faire, nous ne voyons pas bien ce que Martin Scorsese et John Woo viennent faire là-dedans. D’ailleurs, bien malin sera celui qui comprendra les véritables intentions artistiques de ce The Crow cru 2024 qui semble hésiter entre plusieurs tonalités sans vraiment savoir quel public viser. Misérabiliste jusqu’à la dépression (son couple de héros végète dans un établissement pour toxicomanes, hanté par des cauchemars sinistres et des souvenirs traumatisants), le film se prend très au sérieux, abordant cette histoire fantastique avec un premier degré frontal et désarmant, jusqu’à se lâcher plus tard au cours d’une séquence de combat extrêmement gore, quelque part à mi-chemin entre le Quentin Tarantino de Kill Bill et le Peter Jackson de Braindead, qui semble presque échouée là par erreur…

Crow c'est Crow !

Bill Skarsgård fait ce qu’il peut pour remplacer Brandon Lee, promenant sa grande silhouette dégingandée couverte de tatouages, son regard de chien battu et ses allures de clown triste, mais il a tendance à nous indifférer. Son visage ne manque certes pas d’expressivité, mais l’acteur n’a malheureusement pas grand-chose à défendre, pas plus que la chanteuse FKA twigs dans le rôle d’une petite amie désespérément fade. Le rôle du grand méchant échoit à Danny Huston, certes délectable dans des films comme Aviator, Les Fils de l’homme ou Horizon : une saga américaine, mais complètement à côté de la plaque sous la défroque de ce chef de gang dandy ayant pactisé avec le diable. Mais le plus gros défaut de ce The Crow est son absence cruelle de poésie. Montrer l’héroïne lire un recueil d’Arthur Rimbaud n’y change évidemment rien ! La somptueuse mélancolie du film d’Alex Proyas n’est plus qu’un lointain souvenir auquel se substitue une brutalité balourde exempte de finesse et d’élégance. Le public et la presse bouderont de concert ce remake mal-aimé, lui réservant un accueil glacial et incitant tout un chacun à redécouvrir la beauté plastique du film original. Oui, c’était définitivement une fausse bonne idée.

 

(1) Extrait d’une interview publiée publié dans « Digital Spy » en octobre 2014

 

© Gilles Penso


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