LIVRE DE LA JUNGLE (LE) (1967)

Le dernier long-métrage supervisé par Walt Disney est une relecture jazzy des écrits de Rudyard Kipling…

THE JUNGLE BOOK

 

1967 – USA

 

Réalisé par Wolfgang Reitherman

 

Avec les voix de Phil Harris, Sebastian Cabot, Bruce Reitherman, George Sanders, Sterling Holloway, Louis Prima, J. Pat O’Malley, Verna Felton, Clint Howard

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Pilier du studio Disney depuis les années 1930, Bill Peet est à l’origine de quelques-uns des longs-métrages animés les plus célèbres de la compagnie. Mais le Merlin l’enchanteur de 1963 dont il écrit le scénario ne reçoit pas l’accueil enthousiaste espéré. Craignant d’avoir perdu momentanément le secret de la formule magique, tonton Walt demande à Peet de redoubler d’efforts pour l’adaptation du « Livre de la jungle », œuvre phare de Rudyard Kipling dont le studio a acquis les droits. Le scénariste s’efforce de conserver l’esprit des textes originaux mais invente plusieurs personnages additionnels, notamment une petite fille indienne prénommée Shanti et le roi Louie, « monarque » d’une troupe de singes turbulents qui, sous la plume de Kipling, vivaient sans le moindre chef et en parfaite anarchie. Soucieux de suivre de près chaque étape de fabrication du film, Disney n’apprécie guère le traitement de Peet, qu’il juge trop sérieux et trop effrayant. Le scénariste en prend ombrage, claque la porte du studio et restera fâché avec son ex-ami et employeur. C’est Larry Clemmons qui est chargé de reprendre les choses en main avec comme consigne principale d’oublier la prose de Kilpling et de s’amuser. Walt veut un long-métrage dynamique et dans l’air du temps, susceptible de plaire au plus grand nombre. Et c’est le vétéran Wolfgang Reitherman (La Belle au bois dormant, Les 101 dalmatiens, Merlin l’enchanteur) qui hérite de la mise en scène.

Pour les besoins de ce Livre de la jungle « new-look », la caractérisation de chaque personnage principal s’appuie sur une exubérance assumée, les dessinateurs et les animateurs étant invités à s’inspirer fortement de leurs interprètes vocaux pour dresser leurs portraits visuels. L’ours Baloo, devenu un bon vivant candide, la panthère Bagheera, représentant la voix de la sagesse, et le redoutable tigre Shere-Khan sont donc des caricatures respectives des comédiens Phil Harris, Sebastian Cabot et George Sanders. Le désopilant roi Louie (survivant du premier scénario de Bill Peet) est fidèlement modelé autour de la personnalité du chanteur Louis Prima. Le quatuor de vautours qui recueille le jeune héros, quant à lui, est un clin d’œil aux Beatles qui sont censés les interpréter mais qui finissent par passer leur tour. Leur look et leurs coupes de cheveux resteront volontairement influencés par les « Fab Four ». Le rôle vocal de Mowgli, de son côté, est confié à Bruce Reitherman, le fils du réalisateur.

Il en faut peu pour être heureux

Si l’on tient compte de son développement chaotique et du cahier des charges imposé par Walt Disney, on aurait pu logiquement s’attendre à un résultat balourd modernisant maladroitement sa source d’inspiration littéraire pour s’adapter aux goûts du public des sixties. Certes, les amoureux de Kipling ont de quoi crier au sacrilège. Pourtant, le miracle opère et le charme du film de Reitherman emporte l’adhésion dès ses premières secondes. Le voyage initiatique que vit Mowgli tout au long de cette aventure mouvementée et ses légitimes crises identitaires (sa place est-elle parmi les humains ou au milieu des animaux de la jungle ?) nous touchent d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans une mise en forme visuellement très attrayante qui doit sans doute beaucoup à la version de Zoltan Korda. La bande originale exotique de George Bruns et les chansons inoubliables des frères Sherman contribuent bien sûr énormément au succès du Livre de la jungle et à la bonne humeur qu’il procure – laquelle contamina une grande partie des artistes à l’œuvre sur le film. « Quand nous avons travaillé sur la chanson “I wanna be like you“ que chantent le roi Louie et Baloo, tous les animateurs s’agitaient, sautaient sur les tables et dansaient ! » confirme Floyd Norman, qui signa les storyboards des séquences clés du film (1). Walt Disney s’éteignit avant que le film ne soit achevé, provoquant une grande inquiétude au sein du studio. La compagnie de Mickey allait-elle survivre à son créateur ? Le succès gigantesque du Livre de la jungle prouva que oui. À ce jour, il s’agit d’un des longs-métrages animés Disney les plus aimés du public, toutes générations confondues.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso


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