L’ENFER (1911)

Cette adaptation très ambitieuse de La Divine comédie de Dante nous immerge dans une série de tableaux macabres et surréalistes…

L’INFERNO

 

1911 – ITALIE

 

Réalisé par Francesco Bertolini et Adolfo Podovan

 

Avec Salvatore Papa, Arturo Pirovano, Giuseppe de Liguoro, Pier Delle Vigne, Augusto Milla, Attilio Motta, Emilise Beretta

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I MORT I MYTHOLOGIE

Le cinéma muet italien a démarré un peu plus tard que dans d’autres régions du monde mais s’est distingué très tôt par sa propension à dresser des reconstitutions spectaculaires ouvertes aux publics les plus larges. Pour y parvenir, les cinéastes transalpins de l’époque puisèrent souvent dans le folklore local et dans les classiques de la littérature italienne. D’où l’idée, en 1911, de s’attaquer à Le Divine comédie de Dante Aligheri, plus précisément à L’Enfer, les deux autres parties (Le Purgatoire et Le Paradis) ayant été jugées moins visuelles et moins attrayantes pour les spectateurs. Sous l’influence directe des gravures de Gustave Doré, qu’il s’efforce de reproduire avec un maximum de fidélité, L’Enfer de Francesco Bertolini et Adolfo Podovan mêle l’imagerie judéo-chrétienne et celle de la mythologie gréco-romaine avec une inventivité visuelle foisonnante et un déploiement de moyens conséquent. Tourné en 1908, principalement en studio, le film est racheté en cours de production par la société milanaise Milano Film qui initie un tournage additionnel en 1909 avec toute une série de nouvelles scènes filmées en extérieurs, ce qui n’est pas commun à l’époque. Il en résulte un film très atypique, dont l’ambition esthétique reste aujourd’hui encore très impressionnante.

Le film met en scène Dante lui-même (Salvatore Papa), égaré dans une forêt aux troncs épais où le menacent tour à tour un lion, une panthère et un loup. Le poète latin Virgile (Arturo Pirovano) intervient alors et le conduit jusqu’aux portes de l’Enfer. « Abandonnez tout espoir en entrant ici », lui dit-il. Tous deux s’apprêtent en effet à pénétrer dans des cercles de plus en plus profonds et de plus en plus effrayants. Leur odyssée dans les tréfonds de l’au-delà les amène à croiser Charon, le nocher des Enfers qui transporte les âmes égarées, le juge Minos, qui décide des châtiments des trépassés, le chien tricéphale Cerbère, les Gloutons soumis à des pluies infernales, le grimaçant Dieu Pluton au front cornu, une horde de mauvais esprits, les trois Furies, les blasphémateurs frappés par des pluies incandescentes, le dragon Geryon, les suicidés transformés en arbres qui saignent, les harpies qui volent sinistrement dans les cieux, des démons ailés et cornus armés de fouets et de fourches, des géants, et même Lucifer lui-même qui empoigne Judas pour le dévorer…

Le visage des damnés

Pour pouvoir visualiser les mille tourments des âmes damnées, L’Enfer met à contribution tous les trucages à sa disposition, mêlant aux astuces de Méliès (surimpressions, expositions multiples, câbles de suspension) une série de trouvailles techniques étonnantes. Des marionnettes grandeur nature donnent ainsi naissance à Cerbère et à Geryon, des costumes sophistiqués permettent de visualiser les Harpies et les hommes transformés en monstres reptiliens, la perspective forcée mue Pluton en titan et permet de faire interagir les protagonistes avec trois géants enchaînés, des caches prolongent les décors pour leur donner un caractère « dantesque ». Sans oublier une abondance de fumigènes et d’effets pyrotechniques. Cette recherche plastique permanente offre aux spectateurs des tableaux surréalistes, parmi lesquels on se souviendra des âmes qui volent dans les cieux, des centaines de corps qui agonisent au sol, surplombés par une pluie diluvienne et des rideaux de brume, des suppliciés enterrés par la tête dont les jambes s’agitent sous les flammes, ou encore du lac glacé duquel émergent à perte de vue des têtes humaines. L’Enfer n’hésite pas à basculer dans l’érotisme (les corps se dénudent allègrement) et l’horreur graphique (un supplicié porte à bout de bras sa tête décapitée qui hurle encore, un comte dévore la tête d’un archevêque). Sans doute les intertitres sont-ils trop chargés en textes, au lieu de laisser les images se suffire à elles-mêmes, mais le film frappe par l’ampleur de sa mise en scène et par une certaine modernité (les raccords dans l’axe, les mouvements de caméra). Ce sera d’ailleurs un immense succès en Italie.

 

© Gilles Penso

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