

Un couple coréen accueille une jeune femme de ménage qui porte pour tout bagage une étrange poupée en bois…
GIPEUN BAM GABJAGI
1981 – CORÉE
Réalisé par Young Nam Ko
Avec Kim Young-ae, Yoon Il-bong, Lee Ki-seon, Hyun Hye-ri, Kim Heun-hie, Kim Min-gyu, Kim Gi-jong, Lee Yae-sung, Gwak Geon, Yoo Myeong-sun
THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I JOUETS
Young Nam Ko (dont le nom s’orthographie aussi Go Yeong-Nam ou Ko Young-Nam) est ce qu’on appelle un stakhanoviste. Entre 1964 et 2000, ce réalisateur infatigable aura mis en boîte plus de 105 longs-métrages, alternant les genres (drame, policier, romance, action) et tournant généralement quatre ou cinq films par an. Cette hyperactivité ne l’empêche pas de soigner son travail, de styliser sa mise en scène et de s’adonner à des expérimentations intéressantes. En ce domaine, Soudain dans la nuit est un véritable showcase de son savoir-faire, cette incursion dans l’horreur psychologique lui permettant de jouer sans cesse avec les perceptions des spectateurs et de son personnage principal. Le film entre en production à la fin du règne dictatorial de Park Chung-hee, assassiné en 1979. Avec l’arrivée d’un nouveau régime et l’assouplissement considérable de la censure, le cinéma érotique prend son essor. Young Nam Ko lui emprunte plusieurs de ses codes, même si Soudain dans la nuit échappe un peu aux étiquettes. S’il semble se conformer aux atmosphères des films de fantômes asiatiques et s’il se laisse influencer par le cinéma de genre international (on pense à Suspiria et à Shining, surtout au cours de son dernier acte), le film prend aussi les allures d’un drame psychologique inscrit dans un cadre social réaliste, celui d’une famille bourgeoise de Séoul dont l’équilibre est en train de se briser.


Seon-hee est la mère d’une charmante petite fille et l’épouse de Kang Yu-jin, un professeur de biologie spécialisé dans les insectes qui quitte régulièrement le foyer pour partir chasser les papillons rares. Un soir, après l’une de ses expéditions, notre homme convoque plusieurs de ses collègues pour leur montrer les diapositives de ses derniers trophées. Bizarrement, la photo d’une poupée en bois mystérieuse s’est glissée parmi ces clichés. Probablement une erreur du laboratoire. Toujours est-il que la vision de cette image incongrue trouble inexplicablement Seon-hee. De retour d’une autre excursion, le savant ramène Mi-ok, une jeune femme qui errait dans un village voisin après l’incendie qui causa la mort de sa mère. L’épouse regarde d’un mauvais œil cette jolie inconnue mais se ravise en découvrant qu’elle pourrait faire une très bonne femme de ménage (une denrée rare, visiblement). Or la mère de Mi-ok était chamane. Et dans ses bagages, la jeune fille transporte comme seul bagage une poupée identique à celle aperçue sur l’étrange cliché…
Sanglante paranoïa
Progressivement, par petites touches, Young Nam Ko instille le trouble qui saisit Seon-hee, femme au foyer docile dont les fêlures soudaines ne vont cesser de se creuser. Tout commence par une étrange obsession qu’elle développe autour du corps trop parfait de Mi-ok, puis par l’inquiétude croissante d’une possible infidélité de son époux. Le doute se mue en paranoïa, ce que le réalisateur traduit par de très gros plans sur des pas, sur une oreille soudain dressée, sur un regard. Tout finit par devenir suspect, la voix off de Seon-hee nous permettant d’appréhender ses pensées confuses. Très inspiré, Young Nam Ko se laisse aller à quelques envolées psychédéliques en sollicitant des effets kaléidoscopiques qui multiplient l’écran en de nombreuses facettes, des cercles vitreux qui altèrent l’image ou divers filtres déformants. Tandis que la confusion s’exacerbe, les migraines, les vertiges et les malaises frappent Seon-hee. Le film reste volontairement ambigu sur la nature véritable de la menace. Mi-ok cherche-t-elle à tuer sa maîtresse pour prendre sa place ? Est-ce un être diabolique qui se dissimule sous un masque de candeur et d’affabilité ? Sa poupée est-elle porteuse d’esprits démoniaques ? Tout se passe-t-il dans la tête de notre infortunée mère de famille ? Fascinant, le film s’achève sur un climax horrifique balayant toute approche réaliste pour traduire un sentiment de cauchemar éveillé, jusqu’à un final savoureux au cours duquel la folie et la possession diabolique fusionnent.
© Gilles Penso
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