L’ANGE DE LA VENGEANCE (1981)

Après avoir été doublement agressée, une jeune femme muette se transforme en tueuse psychopathe massacrant tous les hommes qu’elle croise…

MS.45 / ANGEL OF VENGEANCE

 

1981 – USA

 

Réalisé par Abel Ferrara

 

Avec Zoe Tamerlis, Albert Sinkys, Darlene Stuto, Helen McGara, Nike Zachmanoglou, Abel Ferrara, Peter Yellen, Editta Sherman, Vincent Gruppi

 

THEMA TUEURS

Lorsqu’Abel Ferrara tourne Driller Killer en 1979, c’est avec la volonté de s’engouffrer dans la vogue montante du cinéma d’horreur moderne tel qu’il fut redéfini par Massacre à la tronçonneuse, avec un budget minuscule et un gros potentiel commercial. L’affaire s’avère plutôt rentable, poussant Ferrara, son scénariste Nicholas St John et le producteur Arthur Weiseberg à retenter une aventure similaire. Mais pour L’Ange de la vengeance (dont le titre original Ms.45 se réfère au calibre de l’arme qu’utilise l’héroïne), Ferrara et St John souhaitent toucher un public moins confidentiel et tourner dans des conditions plus professionnelles. Si le réalisateur jouait lui-même le rôle principal de Driller Killer – faute de trouver quelqu’un de disponible -, il lui faut cette fois-ci une jeune femme en tête d’affiche. La perle rare lui est présentée par des amis qui la dénichent lors d’un casting pour le film musical Times Square. Il s’agit de Zoë Tamerlis, âgé alors de 17 ans. Ferrara est séduit par son visage d’ange, sa vive intelligence et sa sensibilité à fleur de peau. Il l’engage sur le champ et en fera l’une de ses collaboratrices régulières. Plus tard, elle écrira notamment le scénario du chef d’œuvre torturé Bad Lieutenant. Zoë Tamerlis (entretemps devenue Zoë Lund) mourra hélas prématurément à l’âge de 37 ans, victime de ses nombreuses addictions.

L’héroïne de L’Ange de la vengeance est Thana, une jeune femme dont le prénom n’a pas été choisi au hasard puisqu’il se réfère à Thanatos, le dieu grec de la mort. Muette de naissance, introvertie, elle travaille dans un atelier de couture auprès de collègues féminines bienveillantes et émancipées. Un soir, alors qu’elle rentre chez elle, un homme l’entraîne de force dans une ruelle sombre et la viole. Cette agression est tellement soudaine et tellement rapide qu’elle ressemble presque à un cauchemar, d’autant que le violeur (que joue Ferrara) porte un masque qui le fait ressembler à un monstre. Recroquevillée sur le trottoir sale, au milieu des poubelles, Thana semble ne pas réaliser ce qui vient de lui arriver. C’est en état de choc, débraillée, sale, le visage livide, qu’elle regagne son appartement. Là, le spectateur a un coup d’avance car il sait qu’un cambrioleur s’est introduit chez elle. Or cet intrus la viole à son tour. La deuxième agression est plus pénible encore, parce qu’elle dure longtemps et que Thana semble dans un état de sidération qui l’empêche de réagir, son mutisme accroissant davantage le sentiment d’impuissance qui la gagne. Soudain, dans un réflexe d’autodéfense et de survie, elle saisit un presse papier et frappe son agresseur, puis l’achève à coups de fer à repasser…

L’exterminatrice

Ferrara installe un cadre très réaliste en début de métrage. Comme à l’époque de Driller Killer, les images sont souvent « volées » dans les rues de New York avec de vrais passants. La violence qui s’apprête à éclater n’en semblera que plus réaliste, plus quotidienne, plus crue. D’autant que le cinéaste choisit les quartiers les plus pauvres, les plus sales et les plus miteux de la ville. L’Ange de la vengeance emprunte frontalement plusieurs effets de style au cinéma d’horreur, notamment lors des visions post-traumatiques de Thana (qui imagine la main d’un agresseur saisir sa poitrine ou croit voir dans le miroir le violeur masqué qui surgit derrière elle) ou lorsqu’elle découpe le cadavre de sa première victime au couteau de cuisine. Certes, Ferrara préfère ici la suggestion au gore, mais la séquence reste très suggestive. D’autant que quelques détails graphiques ultérieurs (des bouts d’entrailles qui bouchent la baignoire, une main tranchée dans une poubelle, une tête dans un sac) rendent cette horreur très concrète. L’humour noir n’est pas exclu pour autant, comme lorsque Thana donne à manger quelques morceaux du cadavre finement hachés au petit chien de sa voisine envahissante. Bientôt, la jeune héroïne ne supporte plus le moindre contact physique avec les hommes. En ce sens, son déséquilibre n’est pas sans évoquer Répulsion de Roman Polanski, avec lequel L’Ange de la vengeance présente de nombreux points communs. Dragueurs minables, photographes de mode, proxénètes, voyous, milliardaires saoudiens, tous ceux qui ont la mauvaise idée de l’approcher de trop près passent l’arme à gauche. Une métamorphose physique s’opère par ailleurs chez elle, la couturière timide et renfermée se muant en femme fatale sophistiquée à la beauté glaciale. Sa tenue la plus iconique reste cependant celle d’une nonne, que Ferrara choisit à la fois pour sacrifier aux codes du cinéma d’exploitation mais aussi et surtout pour jouer avec l’imagerie de la morale judéo-chrétienne. Car la frontière entre le bien et le mal n’en finit plus de s’estomper tandis que le film avance vers son final explosif et nihiliste.

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article