Habitants de Séoul : si vous êtes endettés jusqu’au cou et que les créanciers vous harcèlent, il existe une solution à tous vos problèmes !
OJING-EO GEIM
2021/2025 – CORÉE DU SUD
Créée par Hwang Dong-hyuk
Avec Lee Jung-jae, Wi Ha-joon, Lee Byung-hun, Park Hae-soo, Hoyeon, Yasuhi Iwaki, Oh Yeong-su, Jeon Young-soo, Heo Sung-tae, Lee Seo-hwan, Yim Si-wan
THEMA TUEURS
Qui aurait pu prévoir que cette série coréenne devienne un tel phénomène ? Le concept, pour attrayant qu’il soit, recycle beaucoup d’idées lues ou vues ailleurs. Pèle mêle, on pense au Prix du danger, à Running Man, Punishment Park, Ultimate Game, Slashers, Hunger Games, Jeux d’enfants, bref les précédents ne manquent pas. Hwang Dong-hyuk, le créateur de la série, ne le nie pas, confessant par ailleurs s’être largement laissé inspirer par des mangas comme Kaiji, Liar Game ou Battle Royale. Mais Squid Game possède cette singularité, ce grain de folie, ce jusqu’auboutisme, cette absence de concessions qui semblent n’appartenir qu’aux artistes coréens et font toute la différence. L’accouchement de ce show n’aura pourtant pas été une mince affaire. En 2009, lorsque Hwang Dong-hyuk commence à faire circuler le scénario, personne n’en veut. Top sanglant, trop bizarre, trop grotesque, trop peu crédible. Ni les producteurs, ni les chaînes de télévision, ni les acteurs à qui il en parle ne prennent ce projet au sérieux. Entretemps, notre homme se fait connaître dans le milieu du cinéma coréen en réalisant plusieurs films : le drame Ma-i pa-deo, le polar Silenced, la comédie fantastique Soo-sang-han geun-yeo et la fresque historique The Fortress. Son nom n’est plus inconnu lorsque Netflix tombe sur le script de Squid Game et s’emballe. Le concept de la série tape dans l’œil des dirigeants de la plateforme au N rouge qui cherchent justement à élargir leur offre de programmes étrangers.
Squid Game choisit comme personnage principal l’archétype du loser. Seong Gi-hun (Lee Jung-jae) est un père divorcé incapable de subvenir aux besoins de sa fillette, addict aux jeux, endetté jusqu’au cou, vivant toujours avec sa mère âgée qui s’épuise en travaillant comme vendeuse de rue. Alors qu’il semble au bord du gouffre, un inconnu l’aborde dans le métro et lui propose de participer à une série de jeux qui lui offriraient une chance de remporter une immense somme d’argent. Seong Gi-hun n’a plus rien à perdre. Il accepte donc et se retrouve transporté dans un lieu inconnu. Soumis à un gaz soporifique, il s’éveille comme Patrick McGoohan dans Le Prisonnier, au beau milieu d’hommes et de femmes qui portent un uniforme numéroté. Il est devenu le joueur numéro 456. Tous les autres sont, comme lui, des êtres à la dérive en proie à de très graves difficultés financières. Sous la garde de soldats masqués en combinaison rose, ces centaines de joueurs se voient offrir une solution à tous leurs problèmes. S’ils acceptent de participer à six jeux les confrontant les uns aux autres, la fortune est peut-être au bout du chemin. Le grand vainqueur de cette série d’épreuves aura en effet la chance de remporter un pactole de 45,6 milliards de wons, soit plus de 35 millions de dollars. Comment refuser ? D’autant que les épreuves en question sont inspirées des jeux de cours de récréation. Sauf que les joueurs éliminés vont perdre beaucoup plus que des points…
Un, deux, trois… Soleil !
Si de nombreuses situations décrites dans Squid Games peuvent raviver les souvenirs des cinéphiles et des lecteurs de mangas, le show de Hwang Dong-hyuk se distingue par des choix artistiques radicaux qui affirment d’emblée son originalité. Les combinaisons unisexes et anonymes des employés du jeu, dont les masques aux allures de tête d’insecte arborent un carré, un triangle ou un cercle selon leur rôle dans cette « fourmilière » savamment hiérarchisée, sont particulièrement iconiques et placent l’intrigue sur un plan dystopique déconnecté de la réalité. Il en est de même pour l’incroyable décor de l’escalier labyrinthique que doivent emprunter les joueurs (sorte de relecture façon lego des célèbres architectures impossibles de M.C. Escher), des cercueils emballés comme des paquets cadeaux, de cette tirelire en forme de gigantesque cochon translucide et bien sûr de ces terrains de jeu tous plus surréalistes les uns que les autres – avec une poupée géante qui ouvre les hostilités pour une mémorable partie de « Un, deux, trois… Soleil ! » Au-delà de son aspect purement graphique, Squid Game dresse un portrait bien peu reluisant d’une société coréenne où les inégalités se creusent inexorablement, où les citoyens âgés sans retraite s’astreignent à des métiers épuisants jusqu’à la mort, où les stigmates de la guerre de 1950 sont encore à vif, où « marche ou crève » semble être le mantra d’une immense frange de la population. Quand on sait que le créateur de la série lui-même vécut dans le dénuement le plus complet avant de pouvoir vendre son premier scénario, on mesure à quel point les excès et les exubérances du show s’appuient sur une réalité bien tangible.
© Gilles Penso
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