LA BÊTE D’AMOUR (1980)

Isolée sur une île paradisiaque avec son compagnon, une jeune femme rencontre un grand singe aux yeux bleus…

TANYA’S ISLAND

 

1980 – CANADA

 

Réalisé par Alfred Sole

 

Avec D.D. Winters, Richard Sargent, Don Mc Cloud, Mariette Levesque, Donny Burns

 

THEMA SINGES

C’est en pensant à deux de ses films préférés, La Belle et la Bête de Jean Cocteau et Sa Majesté des mouches de Peter Brook, et en couvant d’un œil envieux le succès planétaire d’Emmanuelle, que le producteur canadien Pierre Brousseau commence à développer le projet de La Bête d’amour. Il n’est pas impossible que La Bête de Walerian Borowczyk l’ait aussi influencé. Toujours est-il qu’il partage son idée avec le réalisateur Alfred Sole, dont il a apprécié Communion sanglante malgré son échec au box-office. Sole travaille avec Mick Garris sur un script que Brousseau trouve trop humoristique. Il reprend donc l’histoire pour lui donner une tonalité plus grave. Pour que le film fonctionne, il faut non seulement une actrice photogénique et impudique (ce qu’est sans conteste D.D. Winters, alias Denise Matthews, future star de la pop et protégée du chanteur Prince sous le nom de Vanity), mais aussi un faux singe plus vrai que nature. Brousseau sollicite donc le plus grand spécialiste en ce domaine, le maquilleur Rick Baker (qui donna corps au King Kong de 1976 et concevrait plus tard les primates de Greystoke et Gorilles dans la brume). Baker hésite, d’abord parce qu’il craint que le film soit classé X, ensuite parce qu’il ne souhaite pas concevoir un singe banal. Assuré d’avoir carte blanche sur le design, il imagine un croisement entre le babouin, le gorille et l’orang-outang, dont il confie la fabrication à son assistant surdoué Rob Bottin pour pouvoir partir créer le gorille factice de La Femme qui rétrécit.

Tanya (D.D. Winters), mannequin à succès originaire de Toronto, vit une relation toxique avec son fiancé Lobo (Richard Sargent), un peintre tourmenté et violent. Brutalement rejeté par lui alors qu’elle venait de lui déclarer sa flamme, la jolie brune s’évade dans ses rêves, où elle imagine une île tropicale paradisiaque et déserte loin de tout, sur laquelle elle vit les Robinson Crusoé avec Lobo. À la recherche d’inspiration pour ses œuvres, Lobo persuade Tanya de l’accompagner explorer l’autre côté de l’île. C’est là qu’elle découvre une grotte abritant une étrange créature : un grand primate aux yeux bleus qu’elle baptise Blue. Contrairement à Lobo, Blue se montre doux, curieux et étonnamment amical. Tanya, attirée par la présence apaisante du singe, passe de plus en plus de temps à ses côtés, trouvant en lui une source de réconfort et de complicité. Mais la jalousie de Lobo ne tarde pas à éclater. Voyant Tanya s’attacher à Blue, il perd pied…

Gorille dans la brune

« Ce que je voulais réaliser, c’était un conte de fées contemporain, en allant là où La Belle et la Bête n’aurait jamais osé aller », raconte Alfred Sole à l’époque. « Je suis trop proche du tournage pour juger le résultat final. Je ne le regarde pas comme un film mais comme un accomplissement, malgré tous les problèmes de production que nous avons connus. Bon ou mauvais, le film fonctionne techniquement et cinématographiquement. Et j’en suis très heureux. » (1) Effectivement, le tournage de La Bête d’amour aura été un véritable parcours du combattant. Parachutés au milieu de la jungle portoricaine, sans infrastructure digne de ce nom, soumis à mille dangers dus à l’environnement hostile, astreints à des journées de 15 heures, limités par un budget ridicule, Alfred Sole et son équipe font ce qu’ils peuvent. Malgré toute la promotion faite à l’époque autour du film, à grand renfort de photos sensuelles évoquant l’accouplement entre la Belle et la Bête, cette relation reste majoritairement platonique à l’écran, La Bête d’amour s’attachant principalement à montrer jusqu’où la jalousie, la possessivité et la perversion narcissique de l’homme peuvent mener. Car plus Blue révèle sa sensibilité, plus Lobo bascule dans la sauvagerie. Film hybride qui semble hésiter entre la romance érotico-exotique (D.D. Winters exhibe son anatomie complète sous toutes les coutures), le conte fantastique (Blue nous rappelle bien sûr ce bon vieux King Kong) et le drame sentimental, La Bête d’amour patine un peu, s’encombre de dialogues simplistes et d’un jeu d’acteur pas très subtil. Il n’empêche que le caractère atypique de ce film inclassable prouve une fois de plus à quel point Alfred Sole refuse les codes du cinéma classique et cherche sans cesse à transporter ses spectateurs sur un terrain glissant et inconnu. En ce sens, le visionnage de La Bête d’amour reste une expérience captivante.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Cinefantastique en 1980.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article