Le week-end idyllique que passent deux fiancés dans un coin reculé de la campagne anglaise se transforme en horrible cauchemar…
Rien ne nous avait préparé au choc d’Eden Lake. Scénariste spécialisé dans le cinéma d’horreur (My Little Eye, Gone, The Descent 2), James Watkins s’attaque ici à son premier film qu’il veut sec, rude, froid et sans concession. La terreur y est palpable parce qu’inscrite dans un contexte banal et réaliste. En tête d’affiche, Watkins convoque deux très solides comédiens pas encore connus du grand public malgré une carrière déjà riche. Future actrice clé de la série Yellowstone aux côtés de Kevin Costner, Kelly Reilly avait été repérée par le public français grâce à L’Auberge espagnole et Les Poupées russes de Cédric Klapisch. Michael Fassbender, lui, n’est pas encore devenu le Magneto de X-Men : le commencement, le David de Prometheus ou l’incarnation de Steve Jobs. Encore provisoirement en dehors du star system, tous deux sont donc les interprètes idéaux de personnages simples auxquels il sera facile de s’identifier… pour le meilleur et surtout pour le pire ! Tout commence pourtant sans signe avant-coureur de l’horreur à venir. Jenny Greengrass et son compagnon Steve Taylor partent en week-end à Eden Lake, un endroit isolé dans la campagne anglaise. Avant le chantier qui défigurera ce petit coin de paradis, Steve tient à faire découvrir à sa fiancée le lac magnifique et la forêt inviolée, cadre parfait selon lui pour la demander en mariage.
Le malaise s’installe lentement mais sûrement. Ce sont d’abord des incivilités, des comportements grossiers, des enfants mal élevés, des adultes rustres, une certaine hostilité générale, même si elle reste encore un peu lointaine et diffuse. Il n’empêche que chacune de ces micro-agressions entame un peu plus la virilité de l’homme venu revive le jardin d’Eden avec sa promise. Cette sorte de communion avec la nature et ce retour aux sources primitives du couple sont donc mis à mal par un environnement moins idyllique que prévu. La première référence qui nous vient alors à l’esprit est Long week-end de Colin Eggleston, si ce n’est qu’ici la nature n’est qu’un décor. L’adversité vient d’ailleurs. C’est un groupe d’adolescents violents, idiots, turbulents et querelleurs qui fait basculer la situation. Steve essaie de les ramener à l’ordre. Après tout, ce ne sont que des enfants, lui un adulte dans la force de l’âge et en pleine possession de ses moyens. Mais les choses vont vite dégénérer jusqu’au point de non-retour.
Le paradis perdu
Le cadre paradisiaque promis par le titre, cette nature sauvage et encore vierge que les citadins viennent apprécier avant que leur excursion ne vire au cauchemar, n’est pas sans nous évoquer Délivrance de John Boorman. Mais s’il assume ce prestigieux précédent, Watkins s’en éloigne peu à peu. Ici, la transformation du jardin d’Eden en enfer semble vouloir symboliser la mort de l’innocence que sont censés symboliser les charmantes têtes blondes que notre héroïne côtoie en tout début de métrage (puisqu’elle travaille dans une école maternelle). Eden Lake se montre très dérangeant, pas tant par la violence qu’il montre que par celle qu’il raconte, celle d’une enfance sans repère muée en terreau de monstruosité. Maîtrisant le suspense comme personne, le cinéaste joue sans cesse sur les nerfs des spectateurs, n’en finissant pas de créer de nouveaux obstacles, éliminant une à une toutes les échappatoires qui pourraient permettre aux héros de s’en sortir, resserrant son intrigue comme un étau impitoyable. Parfaits, pleinement impliqués, Reilly et Fassbender se font pourtant presque voler la vedette par Jack O’Connell, terrifiant en petite frappe brutale et impulsive dont le cerveau semble imperméable à toute notion de morale. Watkins n’excuse pas ses personnages, pas plus qu’il ne justifie socialement leurs actes ou ne les explique. Il se contente de dresser un constat sans appel qui fait froid dans le dos et laisse persister le malaise longtemps après le générique de fin.
© Gilles Penso
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