Un jeune homme frustré de ne pouvoir faire régner la justice se transforme en monstre visqueux et massacre tous ceux qu’il juge immoraux…
YOU GUI ZI
1976 – HONG KONG / MALAISIE
Réalisé par Meng-Hua Ho
Avec Danny Lee, Ping Chen, Lily Li, Lun Hua, Hsieh Wang, Angela Yu Chien, Feng Ku, Hung Wei, Shih-Ou Chang, Shao-Chia Chen, Ti-Ko Chen, Chok-Chow Cheung
THEMA MUTATIONS
L’« Orang Minyak » (ou « homme huilé ») est une légende urbaine malaisienne qui semble avoir pris ses racines au milieu du 20ème siècle, dans un contexte de tensions sociales, d’insécurité et de tabous autour de la moralité et de la sexualité. Les récits tournent habituellement autour d’une créature surnaturelle née dans le pétrole et animée de vengeance envers ceux qui lui ont causé du tort. Ce mythe bizarre trouve un regain d’intérêt lorsque le cinéma local s’en empare, notamment la trilogie Sumpah Orang Minyak (1956), Orang Minyak (1958) et Serangan Orang Minyak (1958). Au milieu des années 70, le très prolifique studio Shaw Brothers décide de moderniser la légende en l’inscrivant dans les codes du cinéma d’exploitation de l’époque. Ainsi naît The Oily Maniac, confié aux bons soins du stakhanoviste Meng-Hua Ho qui nous offrira en 1977 sa propre version de King Kong, l’inénarrable Colosse de Hong Kong. Il faut bien avouer que cet Oily Maniac est un film complètement inclassable, un conte moral sur fond de drame social qui, subitement, fait surgir un monstre en caoutchouc dégoulinant puis enchaîne les séquences de meurtres violents et d’agressions sexuelles ! Le texte d’introduction semblait pourtant vouloir se draper de respectabilité, annonçant que « ce film est une réinvention d’un conte Nanyang, dont la morale est que la justice prévaut toujours. »
Les premières séquences de The Oily Maniac prennent les atours d’un mélodrame gorgé de sentimentalisme. Après avoir tué accidentellement un gangster qui le menaçait, un chef d’entreprise est envoyé derrière les barreaux et condamné à mort. Sa fille éplorée trouve du réconfort auprès de Shen Yuan, un homme qui est secrètement amoureux d’elle. Mais ce dernier apprend que le cœur de sa belle est déjà pris. Comme si ça ne suffisait pas, le jeune romantique gentiment éconduit souffre de polio depuis sa naissance, l’obligeant à marcher avec des béquilles, et se fait tyranniser par son patron, un avocat véreux acquis à la cause de la mafia locale. Désemparé, Shen Yuan ne se rend même pas compte que l’une de ses collègues lui fait les yeux doux. Alors que les grands sentiments outrés s’installent, le film décide au bout d’un quart d’heure de partir totalement en vrille. Notre homme creuse donc un trou dans sa maison à coups de pioche, se plonge dans de la boue visqueuse, récite une incantation chamanique et se transforme en monstre dégoulinant et huileux ! Désormais, les méchants n’ont qu’à bien se tenir…
Le maniaque huileux !
Nous passons donc sans transition de la tragédie romanesque à la série Z, ce qui se révèle forcément très déstabilisant. Entre deux séquences lacrymales jouées par des acteurs évacuant toute nuance, le monstre caoutchouteux occasionne bien des éclats de rire – involontaires -, d’autant que le bougre saute comme Steve Austin dans L’Homme qui valait trois milliards, pousse des hurlements de bête, crache de la boue toxique sur ses adversaires et peut faire repousser ses membres tranchés. Les effets spéciaux font ce qu’ils peuvent pour suivre les délires du scénario : un costume invraisemblable en caoutchouc (avec des yeux lumineux, des dents qui grincent et un cœur battant), des flaques de boue qui se déplacent en animation et de simples fondus enchaînés pour les métamorphoses. À la grande joie des amateurs de pellicules improbables, The Oily Maniac multiplie les séquences folles (le héros qui s’arrose d’essence dans une station-service pour se transformer, la créature qui surgit dans une baignoire) avec comme point d’orgue l’attaque du monstre qui dégouline depuis le plafond d’une salle d’opération où une chirurgienne s’apprête à faire avorter une jeune femme et massacre tout le monde en grognant. Exhibant chaque fois que possible les poitrines de ses actrices, reprenant note par note le thème musical des Dents de la mer lorsque le blob huileux glisse sur le sol, The Oily Maniac est définitivement un film « autre » qui – mine de rien – anticipe sur la vogue des slashers et des films de super-héros, et semble même paver la route d’un certain Toxic Avenger.
© Gilles Penso
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