THE NEON DEMON (2016)

La beauté et la jeunesse d’une apprentie mannequin provoquent des réactions de plus en plus étranges dans son entourage…

THE NEON DEMON

 

2016 – USA / FRANCE / DANEMARK

 

Réalisé par Nicolas Winding Refn

 

Avec Elle Fanning, Karl Glusman, Jena Malone, Bella Heathcote, Abbey Lee, Desmond Harrington, Christina Hendricks, Keanu Reeves, Charles Baker

 

THEMA CANNIBALES

The Neon Demon est le troisième film de Nicolas Winding Refn ayant connu les honneurs d’une présentation en avant-première au Festival de Cannes, après Drive et Only God Forgives. Et comme pour le précédent, il divisa violemment l’opinion, la foule massée dans le Palais des Festivals s’étant fendue au choix d’applaudissements enthousiastes ou de huées colériques. NWR étant un fervent adepte de la provocation, de telles réactions étaient prévisibles – pour ne pas dire espérées par le cinéaste. L’idée de The Neon Demon lui est apparue d’un coup, un matin, alors que son cerveau encore embrumé par le sommeil s’interrogeait sur la nature de ce qui est beau et de ce qui ne l’est pas. « J’ai eu l’idée de faire un film d’horreur sur la beauté, non pas pour la critiquer ou l’attaquer, mais parce que la beauté est un sujet très complexe », explique-t-il. « Tout le monde a une opinion à ce sujet. » (1) S’il retrouve de nombreuses composantes chères à son réalisateur (une esthétisation extrême, une musique électronique de Cliff Martinez, une approche sans concession de la violence), The Neon Demon entre tout de même en rupture avec ses œuvres précédentes, jusqu’alors centrées sur des personnages masculins brutaux. Cette fois-ci, ce sont principalement des femmes qui occupent le devant de la scène, les hommes restant à l’arrière-plan.

Enfant-star depuis 2001, comme le fut avant elle son aînée Dakota, Elle Fanning a seize ans lorsque Nicolas Winding Refn l’embauche pour tenir le rôle principal de The Neon Demon. Elle entre dans la peau d’un personnage qui a le même âge qu’elle, Jesse, une jeune orpheline originaire de Georgie qui débarque à Los Angeles dans l’espoir de devenir mannequin. Sur place, elle se lie d’amitié avec le photographe Dean (Karl Glusman), qui accepte de réaliser amicalement son premier shooting, et avec la maquilleuse Ruby (Jena Malone), qui la présente à ses collègues mannequins plus âgés. En attendant de pouvoir percer, elle loge dans un motel minable. Derrière le glamour affleure d’emblée le caractère impitoyable d’un métier ne ménageant guère ses postulantes. Mais plus encore que la dureté des directeurs d’agence et de casting, c’est ce sentiment permanent de menace indéfinissable qui sème le trouble chez les spectateurs. Partout où elle passe, Jesse déclenche des comportements un peu étranges, comme si sa jeunesse naïve et sa beauté naturelle généraient un mélange de jalousie, de cupidité et d’envie. Les sourires faussement complices se figent, les remarques apparemment encourageantes semblent biaisées. On sent bien que les choses s’apprêtent à prendre une tournure inquiétante…

Beauté fatale

Dans The Neon Demon, l’usine à rêve hollywoodienne se mue en fabrique à cauchemars. L’innocence y est brisée, attirant les prédateurs comme un agneau lâché au milieu des loups. Le désenchantement raconté dans Mulholland Drive n’est pas loin. David Lynch nous vient d’ailleurs plusieurs fois à l’esprit au cours du film, NFR brisant parfois sa narration pour mettre en scène des images mentales hypnotiques. L’emploi récurrent et quasiment obsessionnel de figures triangulaires réfléchissantes permet au film d’aborder frontalement le motif du narcissisme, Jesse embrassant à tour de rôle tous ses reflets comme si elle en tombait amoureuse. Les réactions presque surnaturelles qu’elle provoque autour d’elle font progressivement basculer le film vers le fantastique puis l’épouvante… et enfin l’horreur. Car Jesse suscite une sorte d’appétit mi-vampirique mi-cannibale qui pousse ses rivales à vouloir absorber son sang ou s’en recouvrir (comme des émules modernisées de la comtesse Bathory), à rêver de se repaitre de sa chair si parfaite ou à projeter son image fantasmée ailleurs. A ce titre, la scène de la morgue reste un grand moment de malaise déviant. On note au détour du casting quelques seconds rôles masculins savoureux comme Keanu Reeves en gérant de motel libidineux et vulgaire, Desmond Harrington (Dexter) en photographe glacial et inquiétant ou Charles Baker (Breaking Bad) en styliste pédant et sophistiqué. Nihiliste, impertinent, gorgé d’humour noir, The Neon Demon est une œuvre choc fascinante qui inspira sans doute Luca Guadagnico lorsqu’il s’attela à son remake de Suspiria.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans le Boston Globe en juin 2016

 

© Gilles Penso


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