L’unique long-métrage réalisé par Charles Laughton transforme Robert Mitchum en inoubliable croquemitaine…
THE NIGHT OF THE HUNTER
1955 – USA
Réalisé par Charles Laughton
Avec Robert Mitchum, Shelley Winters, Lilian Gish, Billy Chapin, Sally Jane Bruce, James Gleason, Evelyn Varden, Peter Graves, Don Beddoe, Gloria Castillo
THEMA TUEURS
Au cours de sa prolifique carrière de comédien entamée en 1928, Charles Laughton incarna Néron, le docteur Moreau, l’inspecteur Javert, Quasimodo, bref une belle galerie de monstres auxquels son visage replet seyait à merveille. Pour son premier long-métrage en tant que metteur en scène, il décide cependant de rester derrière la caméra et de céder la vedette à une star, en grande partie pour convaincre les producteurs de se lancer dans le financement de l’entreprise. Car Si Laughton est bien connu à Hollywood, son expérience de metteur en scène se limite alors à un segment de L’Homme de la Tour Eiffel (coréalisé par Burgess Meredith et Irving Allen) et à quelques pièces à Broadway. Après avoir envisagé Gary Cooper – qui refuse la proposition – et Laurence Olivier – qui n’est pas disponible -, Laughton jette son dévolu sur Robert Mitchum. La Nuit du chasseur adapte fidèlement le roman homonyme écrit en 1953 par Davis Grubb, lui-même inspiré des méfaits d’un assassin bien réel. Formé au dessin, l’écrivain réalise plusieurs croquis à l’attention de Laughton, qui décide de tous les intégrer dans son storyboard. Mais le studio préfère un scénariste plus expérimenté que Grubb pour adapter le roman et sollicite donc James Agee – dont la prose jugée trop longue et trop « bondieusarde » sera entièrement retravaillée par Laughton.
L’intrigue se situe dans les années 1930, en Virginie-Occidentale. Harry Powell (Mitchum) est un prédicateur psychopathe qui parcourt le pays, séduit des veuves, les épouse puis les assassine en justifiant ses actes au nom de la volonté divine. Arrêté pour vol de voiture, Powell est condamné à trente jours de prison. Le temps de sa peine, il partage sa cellule avec Ben Harper (Peter Graves, le futur Mr. Phelps de Mission impossible), un homme acculé par la pauvreté qui, pour sauver sa famille, a commis un braquage suivi du meurtre de deux hommes. Avant d’être arrêté, Ben a confié un secret à ses deux jeunes enfants, John et Pearl : il a caché les 10 000 dollars du hold-up à l’intérieur de la poupée de Pearl, leur faisant jurer de ne jamais révéler la cachette. Powell tente de soutirer cette information à Harper, mais ce dernier reste silencieux. Convaincu que les enfants connaissent l’emplacement de l’argent, le prédicateur élabore un plan. Après l’exécution de Harper par pendaison, il se rend chez la veuve, Willa (Shelley Winters). Manipulée par son charme et son apparence pieuse, la jeune femme accepte de l’épouser, sans savoir qu’elle vient d’ouvrir les portes de l’enfer…
La rivière sans retour
Mis simplement à plat, le scénario de La Nuit du chasseur est celui d’un film noir relativement classique. Mais Charles Laughton tient à transfigurer l’intrigue policière pour muer ce premier long-métrage en une sorte de conte de fées cauchemardesque. Tout y est exagéré, déformé, esthétisé jusqu’à ce que le spectateur – vivant ce drame à travers les yeux des jeunes enfants en cavale – finisse par perdre pied avec le monde réel. Formé à la bonne école, le réalisateur emprunte ses effets de style au cinéma expressionniste allemand et s’éloigne donc volontairement de ce que font ses contemporains. Les ombres s’allongent, les perspectives prennent des proportions monstrueuses, les cieux étoilés surplombent les gamins livrés à eux-mêmes et les animaux de la forêt s’ébattent au premier plan, un peu comme si Alfred Hitchcock rencontrait F.W. Murnau, Lewis Carroll, les frères Grimm et Mark Twain en un cocktail parfaitement surréaliste. Quant à la rivière, à la fois symbole de vie – elle permet aux jeunes héros de prendre la fuite – et de mort – elle engloutit les victimes qui y flottent mollement comme dans un film d’horreur gothique -, elle finit par prendre des atours surnaturels empruntés à la fois aux fables pour enfants et au Styx de la mythologie grecque. La Nuit du chasseur n’est donc définitivement pas un film comme les autres, le chef d’œuvre unique d’un cinéaste surdoué qui s’en tiendra pourtant là, en grande partie échaudé par l’accueil glacial reçu par son film lors de sa sortie en 1955. Laughton s’éteindra en 1962, ne nous léguant qu’un seul film hélas – mais quel film !
© Gilles Penso
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