Dans ce « film testament » d’Hayao Miyazaki, un adolescent découvre un monde magique habité par un héron gris qui parle…
KIMITACHI WA DÔ IKIRU KA
2023 – JAPON
Réalisé par Hayao Miyazaki
Avec les voix de Soma Santoki, Masaki Suda, Yoshino Kimura, Shôhei Hino, Takuya Kimura, Kô Shibasaki, Aimyon, Keiko Takeshita, Jun Fubuki
THEMA VOLATILES ET REPTILES I CONTES
Annoncé par le maître lui-même comme un film testamentaire adressé à son petit-fils, la dernière production de Hayao Miyazaki est librement adaptée d’un roman philosophique pour enfants Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka (Et vous, comment vivrez-vous ?) de Genzaburo Yoshino. Si le livre, publié par son auteur en 1937, a été un succès immédiat, il lui a aussi valu d’être emprisonné à de multiples reprises ; en effet, alors que le Japon s’armait pour rentrer en guerre, les autorités s’inquiétaient de voir un manque de patriotisme dans certains questionnements comme donner à réfléchir à ce qui fait de nous des êtres humains. Il s’agit d’un échange de pensées, un dialogue à deux voix entre un oncle et son neveu, un jeune garçon qui fait l’apprentissage de la vie après la perte de son père et la trahison de son meilleur ami. Pour le film, Miyazaki a voulu se détacher des contraintes de l’adaptation, s’étant emparé du roman initiatique comme source d’inspiration pour mieux explorer ses propres thèmes de prédilection qui rentrent en résonnance avec le best-seller : le monde en guerre, l’injustice, la mort ou la maladie, la douleur de la perte des êtres aimés, l’au-delà, la beauté de la Nature, fragile et forte à la fois, la nostalgie du temps passé, les liens d’amitié, tout ce qui nous transcende et fait de nous les êtres humains que nous choisissons d’être.
La magie de Miyazaki est de réussir à ancrer l’indicible dans un univers fantasmagorique, sorte de rêve éveillé, un rollercoaster qui voyage dans les strates de notre inconscient, de notre psyché. Cet univers, en lien direct avec le cycle de la vie, relie la naissance et la mort comme une vague infinie que l’amour filial, parental et autres, vient adoucir en lui donnant son caractère d’éternité. C’est aussi un film très freudien dont Miyazaki dit lui-même qu’il serait bien en peine de devoir l’expliquer, et qui donne à coup sûr l’impression au public de s’y perdre. À moins, comme le réalisateur le préconise lui-même pour nombre de ses films (Ponyo sur la falaise, Le Voyage de Chihiro) de se laisser porter par son flux et son rythme, semblables, et ce n’est pas anodin, aux mouvements de la mer (ou de la mère). « L’éternité, c’est la mer mêlée au soleil » disait Arthur Rimbaud et c’est bien sur ce registre poétique que le film de Miyazaki s’inscrit et s’apprécie.
« Tenter de vivre »
Mahito est un jeune garçon de onze ans quittant Tokyo après le décès de sa mère disparue dans un incendie. Il part rejoindre son père qui habite à la campagne dans la région dont sa mère était elle-même originaire. Celui-ci vit à présent avec sa nouvelle femme qui attend un bébé et accueille son beau-fils dans leur maison familiale, tenue par une multitude de grand-mères aussi envahissantes que chaleureuses. En dehors d’un étrange héron cendré qui parle et se montre lui aussi de plus en plus intrusif, on notera ; comme un premier anachronisme de cette épopée lyrique, la voix grave de Mahito qui trahit sa maturité due aux épreuves qu’il a traversées, voix contrastant avec celles enfantines des vieilles dames qui l’entourent. Car s’il s’agit de transmission dans le film, comme dans le roman dont il est issu, c’est sur les traces de l’oncle de sa mère, « devenu fou pour avoir trop lu », que Mahito va devoir trouver le chemin de sa propre existence dans les méandres d’un étrange manoir rempli d’ouvrages anciens et de portes qui s’ouvrent sur des espace-temps comme autant de multivers… Dix ans après Le Vent se lève, il faut continuer de « tenter de vivre » quand la folie des hommes fauche ceux que l’on aime. Les personnages dont les existences s’entrechoquent et s’entrecroisent dans ce pays des merveilles sont tous attachants, qu’ils soient réalistes ou absurdes. Le film, comme toute l’œuvre de Miyazaki, est dénuée de manichéisme, saupoudré d’animisme dans la tradition shintoïste japonaise, et se retrouve bercé par la musique symphonique de Joe Hisahishi qui, contrairement à d’autres œuvres telles Princesse Mononoké, accompagne l’action en toute discrétion sans l’emporter dans des envolées lyriques. Par là-même, il sublime les décors somptueux qui à eux seuls donnent à ce long-métrage d’animation son statut de chef-d’œuvre éblouissant de beauté. Un grand spectacle qui s’inscrit dans la haute lignée des studios Ghibli.
© Quélou Parente
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