Dans un monde englouti par un déluge apocalyptique, un chat noir et ses compagnons d’infortune tentent de survivre…
Après sept courts-métrages, le réalisateur letton Gints Zilbalodis s’est fait connaître en 2019 avec un premier long-métrage primé, Ailleurs (Away), avant de remporter avec Flow pas moins de quatre prix au Festival d’Annecy, dont les convoités Prix du Jury et Prix du Public, ainsi que celui de la meilleure musique originale qui vient souligner avec délicatesse toute la beauté de ce film sans paroles. Nous y suivons les péripéties d’un jeune chat noir aux grands yeux écarquillés dans un monde semi-englouti. Les humains ont disparu, et quelques animaux tentent de survivre, réfugiés sur un bateau à la dérive. Sur cette arche providentielle, notre héros va devoir apprendre à affronter ses peurs, plonger et nager sous l’eau, attraper des poissons, et même partager le fruit de sa pêche avec des compagnons d’infortune dont les différences lui dictent de se méfier de leur monstruosité apparente : un capibara, plus gros rongeur du monde mais inoffensif, un chien doux suivi d’une meute excitée, un lémurien malin et un échassier énigmatique. Au fil de la montée des eaux, les paysages en ruine disparaissent, inondés par les variations de lumières naturelles dont un cruel zénith qui réclame un coin d’ombre, tandis que la faim tenaille les estomacs vides.
La bande de compères s’apprivoise et s’adapte en faisant preuve d’une résilience commune pour survivre à ce déluge dont nous constatons les conséquences, sans en connaître l’origine, ni la raison de la disparition des hommes. Ce conte philosophique et poétique soulève donc de nombreuses questions qui resteront sans réponse, mais aussi un flot d’émotions fortes en nous rappelant que nous sommes tous des animaux sur un même bateau, avec des ressentis et des besoins vitaux communs, les mêmes peurs et frissons, attirances ou répulsions. Le réalisateur, grâce à l’expérimentation et la combinaison de procédés appartenant à l’animation et au jeu vidéo, et en utilisant le logiciel 3D Blender, raconte une histoire fabuleusement onirique et contemplative qui nous emmène dans un univers aussi bien fantasmé par moments (la séquences avec l’oiseau), qu’hyper réaliste par d’autres.
Une splendide épopée initiatique
Un message écologique rappelle discrètement en filigrane celui de Pierre Boule avec La Planète des Singes : à force de ne pas collaborer avec la nature, on ne sait finalement pas si l’Homme ne sera pas le grand perdant de cette destruction programmée. Le flux et le reflux des flots font tour à tour le bonheur des uns ou le malheur des autres, rappelant que chacun se nourrit au dépend d’autres espèces vivantes. Lorsque l’eau se retire, le chaton se retrouve impuissant à sauver lui-même le monstre aquatique qui lui a sauvé la vie. Point de jugement, de condamnation, de manichéisme, nous suivons le flow de cette odyssée que le cinéaste dessine avec une immense grâce, et qui fait la part belle à l’amitié inter-espèces. Tout en évoquant l’effondrement des civilisations et les légendes sur les mondes engloutis ou disparus, alors que la marée se retire, nous acceptons ici, à la douceur du crépuscule, notre condition d’être vivant, dépendant d’un écosystème plus ou moins capricieux qui a inspiré à Gints Zilbalodis cette œuvre unique et magistrale !
© Quélou Parente
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