NE DIS RIEN (2022)

Après avoir sympathisé pendant des vacances en Italie, une famille danoise et un couple hollandais décident de se revoir… Mais le pire les attend !

SPEAK NO EVIL

 

2022 – DANEMARK / HOLLANDE

 

Réalisé par Christian Tafdrup

 

Avec Morten Burian, Sidsel Siem Koch, Fedja van Huet, Karin Smulders, Liva Forsberg, Marius Damslev, Hichem Yacoubi

 

THEMA TUEURS

Ne dis rien est le troisième long-métrage du réalisateur danois Christian Tafdrup, surtout connu jusqu’alors pour ses activités d’acteur. Après avoir dirigé le drame fantastique Parents en 2016 et la romance tourmentée A Horrible Woman en 2017, il s’attaque à ce thriller psychologique basculant progressivement dans l’horreur, dont le sujet lui aurait été inspiré par une expérience personnelle. Alors qu’il était en vacances en Toscane avec sa famille, il fit la rencontre d’un couple très amical mais plutôt bizarre, qui lui écrivit par la suite pour l’inviter à passer quelques jours chez eux. Tafdrup déclina l’invitation, mais son imagination se mit dès lors en branle. Que se serait-il passé s’il était allé leur rendre visite ? C’est avec cette supposition en tête que le réalisateur et son frère Mads écrivent le scénario anxiogène de Ne dis rien. Ce script commence à faire le tour du Danemark et de la Hollande, mais il n’est pas simple de trouver des comédiens susceptibles de s’engager dans un récit aussi nihiliste, cultivant un malaise croissant jusqu’à une apothéose glaciale. C’est finalement le couple à la ville Karina Smulders et Fedja van Huêt qui accepte d’incarner les « Hollandais inquiétants », tandis que Morten Burian et Sidsel Siem Koch jouent leurs invités danois. Interrompu à quatre reprises à cause des contraintes sanitaires imposées par la pandémie du Covid 19, le tournage de Ne dis rien se sera étalé sur une année entière.

Conformément à l’anecdote réelle vécue par le cinéaste, l’histoire démarre en Toscane. Bjorn y passe des vacances paisibles avec son épouse Louise et leur petite fille Alice, qu’il aimerait bien voir un peu murir et accepter notamment de prendre ses distances avec son doudou. Ces Danois à la vie bien rangée font sur place la rencontre d’une autre famille, venue de Hollande : Patrick, Karin et leur fils Abel, dont la timidité maladive est accrue par une atrophie de la langue l’empêchant de parler. La tranquillité « petite-bourgeoise » des uns tranche avec la jovialité un peu exubérante des autres, mais le courant passe. De retour chez eux, Bjorn et Louise reçoivent une lettre du couple hollandais leur proposant de venir leur rendre visite dans leur maison champêtre. Ils hésitent un peu : après tout, ils se connaissent à peine. Mais ce week-end au vert ne leur ferait-il pas du bien, ainsi qu’à la petite Alice ? Ils finissent par accepter, sans savoir que leur destin s’apprête à basculer définitivement…

Les limites de l’acceptable

Dès les premières secondes de son film, Christian Tafdrup crée une rupture entre ce que montre l’image (une voiture qui s’approche d’une maison de vacances puis une piscine ensoleillée) et ce qu’évoque la bande son (une musique particulièrement oppressante aux tonalités lourdes et agressives). Le jeu des contraires s’impose donc immédiatement. Ces nappes musicales stressantes continuent de s’inviter plus tard, dans les scènes les plus banales et les plus quotidiennes, comme pour prévenir les protagonistes que quelque chose de terrible se prépare, qu’il est encore temps d’éviter le pire et de faire machine arrière. Mais bien sûr, seuls les spectateurs entendent cet avertissement, la mise en scène créant un effet de suspense insidieux sur la base d’une menace encore mal définie. Or bientôt, Bjorn et Louise font face à des comportements de la part de leurs hôtes qui dépassent clairement les bornes. Ils s’en accommodent pourtant, par politesse, par réserve, par bienséance. Mais quelle est la limite au-delà de laquelle l’incongruité finit par devenir inadmissible ? Tel est le sujet de Ne dis rien, qui s’appuie sur les différences de mentalités entre la société danoise et hollandaise pour creuser un fossé croissant, jusqu’au point de rupture. L’horreur finit par surgir frontalement, avec d’autant plus d’impact qu’elle semble gratuite, illogique, injustifiée. Révélé à Sundance en 2022, ce film coup de poing, porté par des acteurs pleinement investis et une mise en scène redoutablement efficace, fera l’objet d’un remake américain deux ans plus tard.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article