MOTHER LAND (2024)

Face à un monde dévasté par une force maléfique, une mère s’efforce de protéger ses deux enfants dans leur maison isolée au milieu des bois…

NEVER LET GO

 

2024 – USA

 

Réalisé par Alexandre Aja

 

Avec Halle Berry, Percy Daggs IV, Anthony B. Jenkins, Matthew Kevin Anderson, Christin Park, Stephanie Lavigne

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA ALEXANDRE AJA

Mother Land (étrange « traduction » française de Never Let Go) n’était pas au départ un projet destiné à Alexandre Aja. Lorsque Kevin Coughlin et Ryan Grassby vendent leur scénario original à 21 Laps Entertainment, la société de production de Shawn Levy, c’est Mark Romanek qui est envisagé pour en assurer la mise en scène. Spécialisé dans les clips musicaux et les films publicitaires haut de gamme, Romanek n’a à son actif qu’une petite poignée de longs-métrages (Static, Photo Obsession, Auprès de moi toujours) mais son style visuel marqué semble adapté à cette histoire étrange à la lisière du drame psychologique, du thriller, de l’horreur et de la fantasy. Ce n’est qu’après le désistement de Romanek qu’Aja entre en scène, bientôt rejoint par Halle Berry en tête d’affiche. Le motif de la mère cherchant à protéger ses enfants d’une menace surnaturelle dans un monde post-apocalyptique, en respectant des règles très strictes, a déjà été balisé dans des films comme Sans un bruit ou Bird Box, mais le réalisateur cherche l’inspiration ailleurs. « Je pensais sans cesse au film japonais Onibaba », avoue-t-il. « Pour moi, c’est l’un des meilleurs films jamais réalisés. Il y a quelque chose de fascinant à propos de ces deux femmes vivant dans les hautes herbes, coupées du monde, et se trahissant à travers ce masque surnaturel qui finit par les posséder. C’était assez proche de ce que je cherchais à créer dans le film. » (1)

Mother Land nous plonge dans une atmosphère de conte de fées oppressant. Une mère, June, vit seule avec ses deux jeunes garçons dans une cabane au beau milieu d’une grande forêt isolée. Une force surnaturelle surnommée « Le Mal » s’est répandue à travers le monde, provoquant sa fin et faisant d’eux les seuls survivants. Pour échapper à cette entité maléfique capable de prendre toutes sortes de formes (un serpent, un être familier, un humain zombifié à la langue fourchue, ou pire), chacun doit se soumettre à un rituel très strict : réciter chaque jour une prière adressée à la maison pour qu’elle les protège, partir ramasser dans la forêt tout ce qui peut leur permettre de subsister, c’est-à-dire pas grand-chose (des petits animaux, des insectes, des batraciens, quelques morceaux de végétation, de l’écorce) et surtout ne jamais sortir sans être attaché à une corde qui les relie à leur foyer. Sans cette corde, le Mal pourrait s’emparer d’eux et les posséder. Ils s’accrochent alors à cette « ligne de vie » comme si elle était sacrée. « Ne lâchez jamais » (le titre original du film) devient alors leur code de conduite, un mantra qu’ils répètent inlassablement puisque visiblement leur vie en dépend.

La corde raide

Le concept étrange de Mother Land, qui semble presque échappé d’un film de M. Night Shyamalan, permet très tôt de placer au cœur de ses enjeux dramatique la question de la foi. Les règles drastiques que cette femme impose, les prières qu’elle inscrit sur le linteau de la porte et sur le sol, cette « purification d’âme » qui consiste à enfermer chaque enfant une heure par jour dans le noir… Tout ceci est-il vraiment justifié, ou n’est-ce que de la bigoterie dangereuse mêlée de névrose et de superstition ? Ce Mal dont June ne cesse de parler – mais qu’elle semble seule à voir – existe-t-il en dehors de sa tête ? Bien vite, la maison devient le symbole du ventre maternel, relié à un cordon ombilical qu’elle refuse de couper. La force du film est d’entretenir le doute et de semer le trouble autant dans l’esprit du spectateur que dans celui des deux jeunes protagonistes. En pleine interrogation, le spectateur apprécie la prestation de Halle Berry, plongée à nouveau dans l’épouvante sous la direction d’un réalisateur français, vingt ans après Gothika de Matthieu Kassovitz. Cette fois-ci, l’actrice change de registre, assumant ses presque soixante ans, loin des rôles glamour qui firent sa gloire par le passé. Sa carrière entre visiblement dans une nouvelle ère. Elle n’est pas le moindre atout de ce film déroutant qui ne livre pas tous ses secrets et laisse de nombreuses questions en suspens au moment de son épilogue.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans Dexerto en septembre 2024

 

© Gilles Penso


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