MEGALOPOLIS (2024)

Le film le plus fou de Francis Ford Coppola réunit un casting hétéroclite dans une Amérique alternative aux allures de Rome antique…

MEGALOPOLIS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Francis Ford Coppola

 

Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, James Remar, Talia Shire, Dustin Hoffman

 

THEMA POLITIQUE FICTION

Francis Ford Coppola aurait pu abandonner des dizaines de fois, décréter qu’il y eut plus d’un signe l’intimant à passer à autre chose, se concentrer sur des projets plus sûrs et plus rémunérateurs. Mais Megalopolis s’est mué en obsession. Coûte que coûte, il fallait que ce film se concrétise. La première version du scénario date du début des années 1980. Après le spectaculaire échec au box-office de Coup de cœur, qu’il avait financé de sa poche, Coppola doit d’abord éponger ses dettes. Ce n’est qu’en 2001 que Megalopolis redémarre. Cette fois-ci, ce sont les attentats du 11 septembre qui stoppent tout. Quand le cinéaste relance les hostilités en 2019, il se heurte cette fois-ci à la pandémie du Covid-19. Coppola n’étant pas du genre à baisser les bras, il laisse passer la crise et puise dans ses deniers personnels les 120 millions de dollars exigés par le budget. La démarche pourrait sembler presque suicidaire, étant donné le caractère résolument non-commercial de l’œuvre. Mais quand on se lance dans un film comme Megalopolis, la pulsion créatrice l’emporte sur la logique du tiroir-caisse. Coppola est mû par un désir ardent : établir un parallèle entre la chute de Rome et l’avenir des États-Unis, en transposant dans un monde parallèle contemporain les événements de la conspiration des Catilinaires survenus en 63 avant J.C.

Dans New Rome, version alternative de New York, l’architecte César Catilina (Adam Driver) s’oppose à Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire archi-conservateur de la ville. Inventeur visionnaire, César a développé le Megalon, un matériau bio-adaptatif révolutionnaire qu’il est convaincu de pouvoir utiliser pour changer le monde. Son rêve est désormais de bâtir Megalopolis, une cité utopique futuriste.  Or Cicero trouve ces idées fantasques et dangereuses. Il lance donc une campagne de diffamation contre César, l’accusant d’être responsable de la mort mystérieuse de sa femme. C’est le moment que choisit Wow Platinum (Aubrey Plaza), animatrice télé arriviste et maîtresse de César, pour séduire puis épouser le banquier millionnaire Hamilton Crassus III (Jon Voight). Entretemps, Julia (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, engagée au départ pour espionner César, finit par tomber sous son charme et découvre qu’il a le pouvoir de stopper le temps. Elle sera une alliée de poids pour concrétiser le projet de Megalopolis, malgré les manigances du vil Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), le cousin jaloux de César…

Boulimie créative

La science-fiction est donc ici convoquée pour aborder sous un angle allégorique les travers de notre société, sans pour autant que Coppola joue le jeu trop frontal de la satire politique. Redoublant d’idées de mise en scène, submergé par une boulimie créative qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Coup de cœur ou de Dracula, le père du Parrain et d’Apocalypse Now gorge son écran de trouvailles poétiques et symboliques, osant marier le cinéma du 21ème siècle transfiguré par les effets numériques avec celui des pionniers du cinéma muet. Mégalopolis évoque d’ailleurs beaucoup Metropolis, la forte similitude entre les titres des deux films n’étant probablement pas fortuite. Le surréalisme surgit partout, de ces immenses statues antiques qui s’effondrent mollement dans les rues à cette main qui surgit des nuages pour attraper la pleine Lune, en passant par les ombres immenses qui s’agitent sur les façades des bâtiments ou le bureau du maire qui s’enfonce dans le sable comme un navire qui sombre… Le temps étant l’un des motifs récurrents du film – César le décrit comme une sorte de ruban qui nous entoure en reliant le passé et le futur -, le cinéaste semble vouloir boucler la boucle en se référant à son tout premier long-métrage, Dementia 13, le temps d’une image macabre sous-marine. Ce retour en arrière positionnerait-il Megalopolis comme une œuvre-testament ? Il s’agit en tout cas d’un film-somme, d’un rêve de longue date enfin sorti des limbes, envers et contre tous. Et si les critiques se jetèrent sur sa carcasse comme des loups affamés lors de sa présentation au Festival de Cannes, gageons qu’il sera réévalué et fera même date dans l’histoire du cinéma. Combien de fois dans une vie assiste-t-on à un tel spectacle sur grand écran ?

 

© Gilles Penso


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