LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE (2023)

Pour faire revenir son mari tombé au front pendant la première guerre mondiale, une jeune femme désespérée se tourne vers la magie noire…

LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Fabrice Blin

 

Avec Séverine Ferrer, David Doukhan, Clémence Verniau, Philippe Lamendin, Fabien Jegoudez, Yves Lecat, Quentin Surtel

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Voilà plusieurs années que Fabrice Blin taquine la camera. Après avoir signé une poignée de courts-métrages et un documentaire consacré au légendaire format Super 8, il s’attaque avec La Chose derrière la porte à son premier long de fiction en se réappropriant partiellement une imagerie qu’il avait déjà mise en scène dans l’un de ses courts, Mandragore. Si les écrits de H.P. Lovecraft et de ses contemporains (notamment Clark Ashton Smith) peuvent naturellement venir à l’esprit, et si les mutations organiques de David Cronenberg ne semblent pas très loin, Fabrice Blin se réclame aussi d’une littérature fantastique très hexagonale, celle de Maurice Renard et Claude Seignolle. Les influences composites qui le nourrissent auraient pu entraver le résultat final et muer La Chose derrière la porte en patchwork de clins d’œil, travers parfois imputables aux baptêmes de mise en scène. Or ce premier film possède au contraire une personnalité et une singularité indiscutables, justement parce que ses sources d’inspiration ont été digérées et régurgitées sous une forme nouvelle. Boosté par sa pulsion créatrice, motivé par l’enthousiasme de son coproducteur Jean-Marc Toussaint, épaulé par une petite équipe de tournage dévouée, Fabrice Blin plante ses caméras pendant trois semaines dans la maison de campagne de ses beaux-parents et y construit pièce par pièce son film.

Nous sommes en 1914. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage dans les campagnes françaises, Jean (David Doukhan), le fusil à l’épaule, s’en va combattre les Allemands au grand dam de sa bien-aimée Adèle (Séverine Ferrer) qui reste seule dans sa maison au milieu de la campagne, dans l’espoir fragile de le voir rentrer sain et sauf. Mais la nouvelle tant redoutée finit par arriver : Jean a succombé dans les tranchées. Dévastée par la douleur et incapable d’accepter cette perte, Adèle sombre peu à peu dans le désespoir. Ses nuits sont hantées de cauchemars où elle voit son mari disparu, et ces visions la guident jusqu’à un mystérieux grimoire enfoui dans les ruines d’une forêt proche. Ce livre ancien, qui n’est pas sans nous rappeler bien sûr le Necronomicon, renferme des secrets occultes et des formules interdites. Au fil de sa lecture, Adèle comprend qu’elle détient peut-être le pouvoir de faire l’impensable : ramener Jean d’entre les morts. Mais peut-on impunément jouer les nécromanciens sans en payer le prix fort ?

Body Snatchers

L’un des partis pris artistiques les plus radicaux du film est l’épure de ses dialogues, qui se résument finalement à peu de choses. Et ce n’est pas plus mal, puisque nous tutoyons ici l’indicible cher à Lovecraft, l’abomination innommable à laquelle aucun mot ne saurait rendre justice. La Chose derrière la porte baigne d’ailleurs en permanence dans une atmosphère onirique qui nous laisserait presque imaginer que tout ce que s’y passe pourrait être le fruit d’un cauchemar enfiévré. Ce qui expliquerait les réactions un peu décalées du personnage incarné par Séverine Ferrer – mi sidération mi fascination – face à l’horreur sans cesse renouvelée qui se présente à sa porte. Convoquer le mythe de la mandragore entraîne forcément une imagerie de « body horror » végétale qui n’est pas sans rappeler L’Invasion des profanateurs de sépultures et toutes ses variantes, une référence une fois de plus pleinement assumée et intelligemment détournée. Malgré un budget qu’on imagine extrêmement restreint, Fabrice Blin soigne sa mise en scène avec un étonnant souci du détail. La photographie, les décors, le design sonore, la musique oppressante de Raphael Gesqua, les impressionnants maquillages spéciaux de David Scherer, rien n’est laissé au hasard, tout concourt à bâtir cette ambiance moite qui s’immisce dès les premières minutes du métrage et ne le quitte plus jusqu’à son climax déchirant. On saluera au passage la pleine implication de Séverine Ferrer et la présence imposante de David Doukhan, un rôle qui – espérons-le – lui ouvrira la porte vers d’autres personnages et d’autres univers.

 

© Gilles Penso


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