Robert Zemeckis s’empare du célèbre conte scandinave pour en livrer une version épique et spectaculaire en images de synthèse…
BEOWULF
2007 – USA
Réalisé par Robert Zemeckis
Avec Ray Winstone, Anthony Hopkins, John Malkovich, Robin Wright Penn, Brendan Gleeson, Crispin Glover, Alison Lohman, Angelina Jolie
THEMA HEROIC FANTASY I DRAGONS
Jusqu’alors, les cinéphiles amateurs du poème épique « Beowulf » n’avaient guère que le sympathique nanar avec Christophe Lambert ou le modeste long-métrage de Sturla Gunnarsson à se mettre sous la dent. Pourtant, dès 1997, l’écrivain Neil Gaiman (« Coraline », « American Gods ») et le scénariste Roger Avary (Pulp Fiction, Killing Zoe) travaillent sur une adaptation cinématographique de cette célèbre légende germano-scandinave. Robert Zemeckis prend aussitôt une option sur leur scénario, prévoyant de produire ce film et d’en confier la réalisation à Avary. Au départ, ce Beowulf est conçu comme une aventure d’heroic fantasy au budget raisonnable, dans la veine d’Excalibur ou de Jabberwocky, deux références qu’Avary apprécie particulièrement. Mais le projet tarde à se concrétiser et ne renaît de ses cendres qu’en 2005, lorsque Zemeckis formule le souhait de le réaliser lui-même et de revoir à la hausse ses ambitions pour l’adapter à la technologie de la performance capture qu’il a expérimentée avec Le Pôle Express. Neil Gaiman et Roger Avary revoient donc leur copie en élargissant considérablement le scope des séquences d’action. Puisque le rendu final sera 100% numérique, toute folie des grandeurs est la bienvenue. Les deux auteurs ne se privent pas et lâchent complètement la bride de leur imagination.
Nous sommes en l’an 507, au fin fond du Danemark. Accablé par le monstre Grendel qui vient de massacrer une grande partie de ses hommes, le roi Hrothgar cherche désespérément un valeureux guerrier susceptible de se débarrasser de la bête. Le fier Beowulf se propose, persuadé qu’il saura en venir à bout et ainsi inscrire son nom dans l’Histoire. Ses hommes et lui festoient donc bruyamment dans la salle des fêtes du royaume pour attirer le monstre, qui ne tarde pas à débarquer avec perte et fracas… C’est le point de départ d’une épopée grandiose qui s’affirme d’emblée comme un spectacle pour public adulte : Grendel est en effet un troll immonde et contrefait propre à susciter les pires cauchemars, la violence des combats s’assortit de démembrements et d’abondants jets de sang, un érotisme déviant nimbe l’ensemble de l’aventure, bref Zemeckis durcit volontairement le ton. La Légende de Beowulf se distingue aussi par sa volonté d’écarter tout manichéisme. Ici, le « sauveur » est un homme imbu de lui-même que l’on peut légitimement soupçonner de mythomanie, le roi est un lâche qui couve un lourd secret, son épouse une femme glaciale qui masque silencieusement ses meurtrissures. Quant à la bête, elle autant terrifiante que pathétique. Dans ce monde, les héros ne sont donc pas si héroïques et les monstres pas toujours monstrueux.
L’antre de la bête
Certes, le recours à la performance capture autorise des folies de mise en scène qui auraient sans doute été impossibles – où trop coûteuses – à obtenir en prises de vues réelles, notamment des plans-séquence dingues comme ce long travelling qui nous transporte dans les airs depuis le royaume de Hrothgar jusqu’à la caverne de Grendel. Mais l’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait donné un tel film si les personnages humains avaient été incarnés par des acteurs en chair et en os plutôt que par leurs avatars numériques. D’autant que la ressemblance physique de ces « clones » avec leurs modèles réels (notamment Anthony Hopkins, Robin Wright, John Malkovich, Brendan Gleeson, Alison Lohman ou Angelina Jolie) donne parfois l’impression de voir un « brouillon » du résultat final, comme une sorte d’animatique provisoire. La qualité de la direction artistique et la sophistication des images de synthèse ne sont pas en cause. Mais cette imitation presque trop parfaite de la réalité manque toujours de cette étincelle de vie qui fait la différence et crée le fameux malaise indicible connu sous le nom de « uncanny valley », la « vallée étrange », celle qui sépare le « vrai » du « presque vrai ». La Légende de Beowulf reste cependant un spectacle de très haute tenue, une saga d’heroïc-fantasy comme on n’en avait pas vue depuis longtemps, gorgée de séquence fantasmagoriques étourdissantes comme la lutte contre les monstres marins, la bataille insensée au cours de laquelle le héros nu comme un ver affronte un Grendel déchaîné, ou encore le vertigineux combat final à flanc de dragon, le tout aux accents d’une bande originale puissante d’Alan Silvestri mêlant l’orchestre symphonique à des rythmes électroniques et à des chœurs sauvages. Voilà de quoi oublier la belle coupe peroxydée de Christophe Lambert.
© Gilles Penso
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