LE PASSAGE (1986)

Alain Delon entre dans la peau d’un réalisateur de films d’animation que la Mort soumet à un terrible chantage…

LE PASSAGE

 

1986 – FRANCE

 

Réalisé par René Manzor

 

Avec Alain Delon, Alain Musy, Christine Boisson, Jean-Luc Moreau, Alberto Lomeo, Salvatore Nicosia, Jean Levasseur, Marie Marcos, Sylvie Monier, Christian Brendel

 

THEMA MORT

Au milieu des années 80, Francis Lalanne est déjà un chanteur célèbre et Jean-Felix Lalanne commence à se faire un nom en tant que musicien et guitariste virtuose. À l’ombre de ses deux frères, René Manzor caresse quant à lui la carrière de cinéaste. Voici plusieurs années qu’il rêve d’un film fantastique intégrant des séquences en animation et discourant sur la lutte entre l’amour et la mort. « J’ai essayé en vain de monter ce film », raconte-t-il. « J’ai fait toutes les maisons de production de Paris et partout on m’a répondu : c’est trop cher, trop ambitieux, trop américain. J’ai préparé, pendant ces années, un film pilote qui montrait dans quel esprit allait être traduit le scénario. Puis j’ai mis en chantier les parties d’animation, car à la base, je suis dessinateur. Le film pilote durait dix minutes. Mais les personnes à qui je le montrais ne se sentaient pas de taille à l’entreprendre. » (1) C’est là qu’entre en scène Francis Lalanne, le grand-frère. Grâce à ses contacts, il parvient à faire parvenir le scénario à Alain Delon, à qui il propose le poste de producteur. Emballé, l’acteur accepte non seulement l’offre mais s’imagine lui-même tenir le rôle principal. Avec un tel nom en tête d’affiche, Le Passage parvient enfin à se concrétiser. Pour autant, le budget reste très raisonnable et Manzor doit parvenir à boucler son film en sept semaines, ce qui n’est pas énorme étant données les complexités techniques nécessitées par l’histoire, notamment la création d’un certain nombre d’effets spéciaux.

Le concept du film, volontiers surréaliste, se laisse influencer à sa manière par La Charrette fantôme de Julien Duvivier, revisité sous le prisme clinquant des années 80. Delon incarne Jean Diaz, un réalisateur de dessins animés qui vit seul avec son fils David (Alain Musy, le propre fils de Manzor) depuis que sa femme s’est séparée de lui. Après plusieurs années de pause professionnelle, il décide de mettre en chantier un film d’animation saturé de scènes violentes qui a pour vocation de dénoncer la brutalité du monde et de provoquer une prise de conscience généralisée. Mais Jean attire l’attention de la Mort elle-même, sinistre fantôme reclus dans son antre qui décide de le soumettre à un horrible chantage. Soit il termine son film en détournant son message pour le muer en guide d’autodestruction de l’humanité, soit il ne reverra plus jamais son fils qui est dans le coma à la suite d’un accident de voiture. Déchiré par ce dilemme, le cinéaste signe un pacte avec la Mort qu’il sait perdu d’avance…

« Pense à moi comme je t’aaaiiiime ! »

Le Passage a les qualités et les défauts de beaucoup de premiers films, pétri de bonnes intentions, de grandes ambitions et d’envie de bien faire, mais entravé par sa naïveté et ses maladresses. Le principe lui-même est attrayant, avec cette idée de « passage » reliant comme un pont le monde des morts et celui des vivants. Mais comment croire à cette Camarde encapuchonnée qui se terre dans sa cave éclairée à la torche, assise derrière une régie vidéo pleins d’écrans, manipulant avec ses longs doigts crochus un clavier d’ordinateur, fumant cigarette sur cigarette en grommelant d’une voix caverneuse ? Même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile d’appréhender au premier degré cette créature cartoonesque dont le design est l’œuvre combinée de la costumière Yvonne Sassinot de Nesles (spécialisée dans les films d’époque) et du maquilleur spécial Christopher Tucker (Elephant Man, La Compagnie des loups). On se rabat alors sur la prestation très juste du jeune Alain Musy et sur les étonnantes séquences en dessin animé dont le style épuré et brut, tout en nuances monochromes tachetées de rouge sang, rappellent par moment Ralph Bakshi et Bill Plympton. La chanson de Francis Lalanne « On se retrouvera », qui retentit pendant le générique de fin et permet au chanteur de s’époumonner en criant « pense à moi comme je t’aaaiiiime ! », contribuera beaucoup à la popularité du Passage qui sera le succès surprise de l’année, réunissant deux millions trois cent mille spectateurs lors de sa sortie. Quatre ans plus tard, René Manzor transformera l’essai avec 36 15 code Père Noël.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Lyon Matin en décembre 1986

 

© Gilles Penso


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