Les plus grandes stars françaises des années 50-60 se croisent dans ce film à sketches dont le Diable, déguisé en serpent, tire les ficelles…
LE DIABLE ET LES DIX COMMANDEMENTS
1962 – FRANCE / ITALIE
Réalisé par Julien Duvivier
Avec Michel Simon, Dany Saval, Henri Tisot, Micheline Presle, Françoise Arnoul, Charles Aznavour, Lino Ventura, Louis de Funès, Fernandel, Alain Delon, Danielle Darrieux
Julien Duvivier est un cinéaste éclectique. Adepte de portraits souvent désenchantés et pessimistes de ses contemporains, comme en témoignent Pépé le Moko ou Voici venu le temps des assassins, il fut aussi le père de la saga burlesque Don Camillo, ainsi que l’auteur de quelques relectures méconnues de grands classiques du fantastique comme Le Golem ou La Charrette fantôme. C’est une sorte de cocktail de toutes ces tendances à priori incompatibles que nous offre Le Diable et les dix commandements, réinterprétation tour à tour comique, triste ou fantasmagorique des célèbres préceptes du Décalogue, à travers un exercice très en vogue dans les années soixante : le film à sketches. Pour l’occasion, Duvivier réunit un casting de rêve, véritable « who’s who » de toutes les têtes d’affiche du cinéma français de l’époque. La bande annonce et le matériel promotionnel annonçaient d’ailleurs fièrement : « Le film aux 35 vedettes ». C’est Claude Rich qui prête sa voix au Diable, visualisé à l’écran par un grand serpent qui se love un peu partout, fidèle à l’imagerie héritée du jardin d’Eden. Témoin mais aussi tentateur et provocateur, il étudie les vicissitudes des hommes et leurs tendances à se montrer architectes de leur propre malheur.
« Tu ne jureras point » est le premier segment du film. Michel Simon (qui jouait lui-même le Malin dans La Beauté du Diable) incarne un vieil homme au langage grossier qui lance des « Nom de Dieu » à tour de bras. Les sœurs du couvent dans lequel il travaille en tant qu’homme à tout faire ne l’entendent pas de cette oreille et réclament son renvoi, à moins qu’il ne trouve le moyen de s’amender. Le deuxième sketch, qui a disparu de plusieurs copies au fil des remontages et des versions alternatives, s’intitule « Luxurieux point ne seras ». Henri Tisot y joue un homme obsédé par une strip-teaseuse (Dany Saval) qui peuple tous ses fantasmes et représente à ses yeux l’idéal féminin… jusqu’à ce qu’il déchante brutalement. Dans le mélodramatique « Tu ne tueras point », Charles Aznavour est un séminariste qui abandonne sa vocation pour venger la mort de sa sœur, poussée au suicide par un criminel bourru que joue Lino Ventura. Comme son titre l’indique, « Tu ne convoiteras point » s’intéresse de son côté à la cupidité d’une jeune femme (Françoise Arnoul) prête à l’adultère pour obtenir un collier précieux. Ce bon vieux Fernandel, qui jouait Don Camillo pour Duvivier où il dialoguait régulièrement avec Dieu, joue le Tout Puissant lui-même dans le segment « Un seul Dieu tu adoreras ». Descendu sur terre pour remettre les hommes sur le droit chemin et accomplir des miracles, il débarque dans une ferme. Mais est-il vraiment celui qu’il affirme ? L’entendre dire « Au nom de Moi, de mon fils et du Saint Esprit » s’avère savoureux.
Delon, De Funès, Ventura, Aznavour, Brialy, Fernandel, Carmet… ils sont tous là !
Dans l’émouvant « Tes père et mère honoreras », Alain Delon est un étudiant de vingt ans qui apprend soudain que sa mère biologique n’est pas celle qu’il croit mais une célèbre comédienne de théâtre (Danielle Darrieux). « Tu es beau comme un dieu, toi », lui dit cette dernière. « Toi, avec ta belle petite gueule, je te retrouverai, parce que ta génération est très prometteuse », affirme à son attention la voix off du diable. Un commentaire prémonitoire, au regard de la carrière à venir de Delon. L’avant-dernier sketch, « Tu ne déroberas point », est un vaudeville désopilant dans lequel Louis de Funès et Jean-Claude Brialy s’affrontent pour une somme d’argent volée à la banque. Quant à l’épilogue, il nous permet de retrouver Michel Simon face aux dix commandements qu’il s’est engagé à apprendre par cœur. Co-écrits par Maurice Bessy, René Barjavel, Henri Jeanson, Michel Audiard et Pascal Jardin, les scénarios de ces histoires courtes aux chutes ironiques, sortes de Quatrième Dimension bibliques, sont constellés de dialogues se référant à l’Ancien et au Nouveau Testament et oscillent sans cesse entre l’humour – souvent noir – et le drame – teinté de cynisme. Une petite salve à l’attention des cinéastes de la génération de Godard et Truffaut, alors prompts à dénigrer le « cinéma de papa », peut même s’apprécier dans les répliques de ce Diable facétieux, fil rouge d’un exercice de style délectable qui mérite largement d’être découvert ou redécouvert.
© Gilles Penso
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