BLOOD ISLAND (2010)

En revenant sur l’île où elle passa une partie de son enfance, une working girl coréenne plonge dans l’horreur…

BEDEVILLED

 

2010 – CORÉE DU SUD

 

Réalisé par Jang-Cheol-soo

 

Avec Seo Young-hee, Ji Sung-won, Park Jeong-hak, Baek Su-ryun, Bae Sung-woo, Oh Yong, Lee Ji-eun, Kim Gyeong-ae, Son Yeong-sun, Lee Myeong-ja

 

THEMA TUEURS

Avant de passer à la mise en scène, Jang Cheol-soo se forma aux côtés de Kim Ki-duk (L’île, Locataires, Dream), dont il fut l’assistant. « La seule véritable chose qu’il m’ait apprise fut de faire en sorte que le public ne puisse jamais quitter l’écran des yeux », raconte-t-il à propos de son mentor « Il m’a conseillé de garder ça à l’esprit en permanence le jour où je réaliserai mon premier film » (1). Jang Cheol-soo fait ses premières armes sur le court-métrage Escalator to Heaven, qui remporte un certain succès dans les nombreux festivals où il est projeté, puis passe au format long avec Blood Island. Ce film choc prouve à quel point l’élève a consciencieusement suivi les leçons du maître. « Si j’ai décidé de faire un long-métrage aussi fort pour mes débuts, c’est parce que je voulais qu’il puisse immédiatement se démarquer, même s’il s’agit d’un film indépendant à petit budget », explique-t-il (2). Sauvage, violent, bouleversant, émouvant, déchirant et mémorable (oui, oui, ne reculons devant aucun qualificatif), Blood Island ne laisse personne indemne et détourne les codes du « rape and revenge » sous un jour inédit. Le film démontre surtout le talent très prometteur d’un metteur en scène alors encore débutant.

L’héroïne de Blood Island est Hae-won (Ji Sung-won), une belle trentenaire qui mène une vie active en plein Séoul et survit dans la jungle urbaine grâce à une froideur qui confine souvent à l’égoïsme. Suite à une querelle dans la banque où elle travaille, son employeur la somme de prendre un congé forcé. La citadine s’installe alors pour quelques jours sur la petite île de Moodo, terrain de jeu d’une grande partie de ses plus jeunes années. Mais lorsqu’elle retrouve Bok-nam (Seo Young-hee), son ancienne amie d’enfance, c’est pour découvrir que la jeune femme est la victime répétée de violences, d’humiliations et de sévices en tout genre. Esclave des matriarches qui dirigent l’île d’une poigne de fer, objet sexuel des hommes qui semblent abétifiés par l’absorption quotidienne d’une plante locale, Bok-nam est souvent ramenée à l’état de bête servile et soumise. Pourtant, Hae-won ne réagit pas, habituée à rester en retrait et à ne se mêler de rien afin de préserver son confort personnel…

Explosion de violence

Progressivement, le pôle d’identification du spectateur se déplace. A mi-parcours, la protagoniste n’est donc plus l’imperturbable Hae-won mais la fragile Bok-nam, avec qui l’on finit par entrer naturellement en empathie. Si l’on tient compte de son postulat, Blood Island prend au départ les allures d’un drame humain et social… Mais c’est pour mieux basculer dans l’horreur, une horreur d’autant plus choquante qu’elle s’inscrit dans un contexte réaliste et crédible. Centrée avant tout sur les affres psychologiques de ses personnages, cette œuvre d’exception cède à la brutalité la plus extrême et aux exactions les plus sanglantes non par volonté de cultiver les codes du genre mais pour catalyser les émotions et les sentiments. Les frustrations et les rancœurs s’accumulent jusqu’à une explosion de sauvagerie et d’hémoglobine que plus rien ne semble pouvoir retenir. Dès lors, la lisière entre le réel et le fantastique s’évapore volontiers, semant chez les spectateurs un trouble durable, même longtemps après la fin de la projection. Couronné par un gigantesque succès en Corée, Blood Island n’aura pourtant pas permis à son réalisateur de transformer l’essai avec autant d’éclat par la suite.

 

(1) et (2) Extraits d’un entretien paru dans « Far East Films » en mars 201

 

© Gilles Penso


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