Une grande maison sur la côte d’Azur, quatre enfants livrés à eux-mêmes, un cadavre, un inconnu, un huis-clos oppressant… et le drame !
ATTENTION, LES ENFANTS REGARDENT !
1978 – FRANCE
Réalisé par Serge Leroy
Avec Alain Delon, Sophie Renoir, Richard Constantini, Tiphaine Leroux, Thierry Turchet, Adelita Requena, Henri Vibert, Marco Perrin, Françoise Brion
THEMA ENFANTS
Trois ans après son chef d’œuvre, le survival « coup de poing » La Traque au casting de premier ordre et à la tonalité glaciale, et dans la foulée de son thriller Les Passagers avec Jean-Louis Trintignant et Mireille Darc, Serge Leroy revient pour un autre film brutal tiré cette fois-ci du roman noir « The Children are Watching » de Laird Koenig et Peter L. Dixon (paru en 1970). Si le postulat peut faire penser au classique Chaque soir à neuf heures de Jack Clayton et si la mise en scène d’enfants livrés à eux-mêmes n’est pas sans évoquer le motif de « Sa Majesté des mouches », Attention, les enfants regardent ! emprunte des chemins non balisés et revisite le thème de l’enfant tueur sous un angle inédit. Leroy co-rédige le scénario avec son partenaire d’écriture Christopher Franck tandis qu’Alain Delon, en quête de contre-emplois et de prises de risques en ces années 70 déclinantes, occupe le double poste d’acteur principal et de producteur. Clignant de l’œil vers sa propre filmographie, le cinéaste laisse apparaître furtivement un poster de La Traque dans le décor et un extrait du Mataf sur un écran de télévision. Mais Attention, les enfants regardent ! n’est pas pour autant une fable amusante pour les spectateurs férus de clins d’œil. C’est au contraire un spectacle qui fait froid dans le dos en décrivant une enfance en perte de repères moraux, bien loin de l’image d’innocence à laquelle on l’associe habituellement.
Le cadre pourrait être idyllique : une somptueuse villa de la Côte d’Azur non loin du bord de mer, l’été, les vacances… Mais dès les premières minutes, la violence entre en jeu. Sur l’écran du téléviseur d’abord, crachant des coups de feu et des morts sanglantes face à quatre enfants qui semblent hypnotisés par cet enchaînement d’homicides fictifs. Dans leur langage ensuite, les charmants bambins n’hésitant pas à insulter avec mépris leur gouvernante espagnole qui a l’outrecuidance de nettoyer leur bazar en leur bouchant momentanément la vue de la télévision. Marlène, Dimitri, Marc et Laetitia nous sont d’emblée présentés comme des sales gosses, habitués au luxe et aux caprices tandis que leurs parents sont loin, accaparés par le tournage d’un film en Irlande. Il va nous falloir pourtant les choisir comme pôle d’identification, le monde des adultes étant uniformément décrit comme insipide, voire stupide. Nous devenons même complices de leur crime, la mort de leur gouvernante, un jeu qui tourne mal et qui les laisse soudain seuls dans la grande maison. Mais un homme a tout vu. Un individu louche et mystérieux qu’incarne Alain Delon et qui va peu à peu s’immiscer de force dans la vie du quatuor assassin…
L’ogre et les petits poucets
Calculateurs, dangereux, menteurs, manipulateurs, d’une vive intelligence, les enfants du film sont des monstres. Mais Serge Leroy les filme avec tant de naturalisme et de fraîcheur que nous sommes bien loin des archétypes maléfiques hérités de La Mauvaise graine ou Le Village des damnés. « Les enfants ont le droit de tirer dans le dos », les entend-on dire. « C’est pour les grands que c’est moche. » Preuve que les notions du Bien et du Mal s’agencent bien curieusement dans leurs petites têtes. Il faut dire que les jeunes acteurs sont bluffants, dans un exercice pourtant difficile. Sophie Renoir, qui incarne l’ainée, est sans conteste la révélation du film, membre d’une impressionnante dynastie artistique (elle est l’arrière-petite-fille du peintre Auguste Renoir, la petite-fille de l’acteur Pierre Renoir, la grand-nièce du cinéaste Jean Renoir et la fille du directeur de la photographie Claude Renoir). À travers elle, le film brise plusieurs tabous, sexualisant même cette gamine de quatorze ans à l’occasion d’une séquence de suspense intense. Delon, lui, est taiseux pendant la grande majorité du film. Son seul monologue consiste à s’ériger comme une métaphore de l’ogre, face à quatre enfants perdus dans la forêt. Car Attention, les enfants regardent ! possède les composantes des contes de fées, ceux sans concessions tels qu’ils furent contés par les frères Grimm par exemple : des enfants bien peu innocents, un monstre qu’ils affrontent et un dénouement qu’on imagine sanglant. Échec prévisible au box-office, ce récit cruel prouve une nouvelle fois combien Serge Leroy savait être un cinéaste radical bien peu soucieux des conventions.
© Gilles Penso
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