ARMAGUEDON (1977)

Alain Delon et Jean Yanne s’affrontent dans ce thriller apocalyptique où un citoyen ordinaire décide subitement de prendre sa revanche sur la société…

ARMAGUEDON

 

1977 – FRANCE / ITALIE

 

Réalisé par Alain Jessua

 

Avec Jean Yanne, Alain Delon, Renato Salvatori, Michel Duchaussoy, Marie Déa, Michel Creton, Susanna Javicoli, Guy Saint-Jean, Luigi Lavagnetto

 

THEMA TUEURS

Deux ans après les démêlées de Jean-Paul Belmondo avec un tueur machiavélique dans Peur sur la ville, Alain Delon affronte son propre psychopathe dans Armaguedon, qui marque ses retrouvailles avec Alain Jessua dans la foulée de Traitement de choc. Mais si le cinéaste et l’acteur s’étaient plutôt bien entendus sur le tournage du thriller fantastico-médical qui mettait aussi en vedette Annie Girardot, la confection d’Armaguedon reste un souvenir douloureux pour Alain Jessua. Acteur principal mais aussi producteur du film, Delon y impose ses volontés et refuse souvent de se plier aux indications du metteur en scène pour proposer sa propre interprétation du protagoniste qu’il campe, un psychologue renommé chargé par la police d’aider à identifier et stopper les agissements d’un criminel tout-puissant et insaisissable. Visiblement soucieux de soigner son image et d’offrir au public la prestation d’un homme charismatique, ténébreux et imperturbable, Delon prive son personnage des failles qui l’auraient rendu crédible et attachant. Par conséquent, le spectateur aura plutôt tendance à s’intéresser à son antagoniste, le tueur incarné par Jean Yanne qui se révèle beaucoup plus intéressant parce que plus complexe.

Inspiré d’un roman de l’Américain David Lippincott, le scénario d’Armaguedon relocalise l’intrigue en France. Louis Carrier (Yanne), un agent municipal qui hérite de 250 000 francs après la mort de son frère, aspire à la notoriété. Pour y parvenir, il s’associe avec Albert, un simple d’esprit (Renato Salvatori), et adopte le pseudonyme d’« Armaguedon », inspiré par une bande dessinée tirée du Livre de l’Apocalypse. Poussé par une folie des grandeurs croissante, Carrier élabore un plan pour attirer l’attention des médias et des autorités, annonçant un attentat imminent via des messages vocaux enregistrés en plusieurs langues. La police, désorientée, fait appel au psychiatre Ambroise (Delon) pour cerner la personnalité du suspect. Pendant ce temps, Carrier et Albert commencent à semer leur chemin de victimes et précisent leur menace : une bombe commandée à distance explosera au beau milieu d’une émission de variétés diffusée à la télévision en direct…

Psychose et mégalomanie

L’intrigue d’Armaguedon ne rattache en rien le film au genre fantastique. Pourtant, comme souvent chez Jessua, plusieurs séquences semblent se situer dans une sorte de réalité alternative, tutoyant le cinéma d’horreur (le double meurtre diaboliquement sophistiqué du couple dans la chambre d’hôtel) mais aussi la politique-fiction (à travers l’usage que le tueur fait de la technologie, des enregistrements sonores et de la télévision). Dans le monde d’Armaguedon, les écrans sont omniprésents, saturant le décor d’informations visuelles comme dans les thrillers de John Frankenheimer. Ainsi, même s’il se révèle moins science-fictionnel que Traitement de choc, Paradis pour tous et Frankenstein 90, Armaguedon entre définitivement dans la famille des films « autres » de Jessua, ceux qui, à la manière des Chiens, s’appuient sur le monde contemporain et les psychoses de ceux qui l’habitent pour transcender le réalisme et offrir une vision inquiétante de la société. Sans doute le film souffre-t-il d’une caractérisation trop schématique, à travers ce tueur aux motivations confuses et ce psychologue aux analyses à l’emporte-pièce. Le jeu des comédiens et les dialogues écrits par Jessua auraient également mérité un peu plus de subtilité. Armaguedon n’a donc pas très bien vieilli, c’est indéniable, mais l’impact de sa démonstration reste intact. La manière avec laquelle il décrit la capacité de n’importe quel citoyen ordinaire à se muer en fou destructeur et mégalomane, pourvu qu’on lui en donne les moyens financiers et les canaux de communication, fait toujours autant froid dans le dos.

 

© Gilles Penso


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