INFINITY POOL (2023)

Le fils de David Cronenberg nous emmène dans un hôtel touristique situé au cœur d’un cadre idyllique dont les apparences sont trompeuses…

INFINITY POOL

 

2023 – CANADA / CROATIE / HONGRIE

 

Réalisé par Brandon Cronenberg

 

Avec Alexander Skarsgård, Mia Goth, Cleopatra Coleman, Jalil Lespert, Thomas Kretschmann, John Ralston, Amanda Brugel, Caroline Boulton, Jeff Ricketts

 

THEMA DOUBLES

Après Antiviral et Possessor, ce troisième long-métrage permet de cerner de mieux en mieux la personnalité de Brandon Cronenberg qui, s’il partage plusieurs obsessions thématiques et visuelles avec son père, s’efforce de développer un univers qui lui soit propre. Infinity Pool est d’ailleurs sorti sur les écrans américains sept mois après Les Crimes du futur, nous offrant la possibilité d’apprécier les partis pris artistiques qui distinguent David Cronenberg de son fils. Le point de départ d’Infinity Pool est né d’une expérience personnelle. « Je n’arrêtais pas de repenser à des vacances que j’ai passées il y a une vingtaine d’années sur un site “all-inclusive“ en République dominicaine », raconte Brandon Cronenberg. « C’était surréaliste, parce qu’ils vous emmenaient en bus au milieu de la nuit, de sorte que vous ne pouviez pas voir le pays. Ils vous déposaient simplement dans l’enceinte du complexe hôtelier, qui était protégé par une clôture avec des barbelés. Il était impossible d’en sortir, et il y avait une sorte de fausse ville où vous pouviez faire du shopping. Et puis, à la fin de la semaine, ils vous ramenaient en bus pendant la journée, et vous pouviez découvrir alors la campagne environnante, qui était très pauvre. Des gens vivaient dans des cabanes. Ce contraste était évidemment horrible » (1). Pour pouvoir restituer ce sentiment étrange et y développer une intrigue cauchemardesque, le réalisateur s’installe avec son équipe en Croatie, plus particulièrement à Šibenik.

Le malaise s’installe dès les premières minutes, dans un cadre pourtant joyeux et rassurant : un hôtel de luxe situé dans une destination de rêve où lézarde un couple avant d’aller prendre son petit déjeuner. Mais les dialogues bizarres, les angles de prise de vue désaxés, les masques hideux et difformes que portent les autochtones, tout annonce d’emblée que quelque chose ne tourne pas rond. « C’est quoi cet endroit ? » finit par demander James Foster (Alexander Skarsgård) à son épouse Em (Cleopatra Coleman). C’est pourtant lui qui a souhaité ce dépaysement dans l’espoir d’y trouver l’inspiration pour son nouveau roman. Les choses commencent à prendre une tournure inattendue lorsque nos protagonistes font la rencontre d’un couple sympathique incarné par Mia Goth et Jalil Lespert. Ces derniers leur proposent une virée en voiture en dehors du complexe touristique pour s’aventurer sur une plage tranquille, loin de la foule. Pourquoi pas ? Sauf que l’excursion improvisée ne va pas tarder à tourner très mal…

Vacances, j’oublie tout…

La petite chronique se transforme ainsi en drame puis bascule dans la science-fiction et dans l’horreur sans pour autant en emprunter les codes classiques. Brandon Cronenberg tient à imprimer son propre style, loin des conventions connues. Sans cesse, le film joue sur l’incongruité que peut prendre l’industrie touristique, jusqu’au faux restaurant chinois tenu par des occidentaux en tenue asiatique, aux démonstrations de danses de Bollywood ridiculement réductrices, au portail de l’hôtel gardé comme une prison, au fossé immense qui se dresse entre les nantis en vacances et la population locale qui vit dans la misère. Ici, le pays étranger économiquement défavorisé se mue en terrain de jeu pour de riches oisifs en mal de sensations fortes, un peu à la manière de ce que raconte maladroitement Eli Roth dans Hostel. Féru d’expériences sensorielles déstabilisantes, Cronenberg Jr. n’hésite pas devant les gros plans anatomiques les plus suggestifs, à la lisière de la pornographie, et se permet quelques brèves envolées gore. Le postulat d’Infinity Pool est captivant et la démonstration fait mouche. Mais l’intrigue finit par s’étioler dans une sorte de nébulosité auto-contemplative qui amoindrit progressivement l’implication du spectateur. Dommage, car le concept reste fort, le malaise savamment instillé perdurant longtemps après le générique de fin.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Fangoria » en 2023

 

© Gilles Penso


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