Sans aucune demi-mesure, Anthony Perkins entre dans la peau du célèbre médecin schizophrène face à la caméra d’un spécialiste du cinéma X
EDGE OF SANITY
1989 – GB / FRANCE / USA
Réalisé par Gérard Kikoïne
Avec Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge, Ben Cole, Ray Jewers, Jill Melford, Lisa Davis, Noel Coleman, Briony McRoberts
THEMA JEKYLL & HYDE
Extrêmement prolifique depuis ses débuts dans les années 50, le producteur britannique Harry Alan Towers s’est spécialisé dans le cinéma populaire, à mi-chemin entre la série B honorable (la saga des Fu Manchu avec Christopher Lee) et le cinéma bis déviant (notamment un grand nombre de films d’exploitation signés Jess Franco). Alors que les années 80 déclinent, l’infatigable vétéran souhaite mettre sur pied une nouvelle version du mythe de docteur Jekyll et Mister Hyde avec une tête d’affiche pour aider à son financement et attirer un maximum de spectateurs dans les salles. L’heureux élu est Anthony Perkins, immense star des années 50 et 60 (Barrage contre le Pacifique, Le Dernier rivage, Le Procès, Paris brûle-t-il ?) passé à la postérité grâce au Psychose d’Alfred Hitchcock. À la fin des années 80, l’aura de Perkins a considérablement pâli, le poussant à accepter des rôles de moins en moins prestigieux pour continuer à faire bouillir la marmite. Il signe donc pour être cette nouvelle incarnation de Jekyll et Hyde. Pour la mise en scène, le producteur pense à Gérard Kikoïne. Grand spécialiste du cinéma X depuis le milieu des seventies, Kikoïne a aussi monté plusieurs longs-métrages de Jess Franco. Alan Towers a collaboré avec lui sur une poignée de films d’aventure et sait qu’il saura respecter la modeste enveloppe de 2 millions de dollars mis à sa disposition. Pour composer avec ce budget, Kikoïne emmène son équipe de tournage dans les rues de Budapest où sera reconstitué le Londres de l’époque victorienne.
Une imagerie de film érotique s’installe d’emblée dans ce Dr Jekyll et Mr Hyde à travers le cauchemar – ou le souvenir refoulé ? – du bon docteur qui se voit enfant en train de regarder un couple en pleine fornication dans une grange. Les amants le surprennent et corrigent violemment le jeune voyeur. Le médecin se réveille alors en sueur puis reprend ses activités respectables, partagées entre l’hôpital et son propre laboratoire installé à domicile. Des expériences pratiquées sur de la cocaïne lui démontrent qu’il peut en tirer un anesthésiant efficace. Mais un soir, il absorbe accidentellement la poudre blanche mélangée à de l’éther et l’impensable se produit : son double maléfique émerge. A l’instar du Docteur Jekyll et Sister Hyde de David WIckes, le Dr Jekyll et Mr Hyde de Gérard Kikoïne entremêle le récit imaginé par Robert Louis Stevenson avec les exactions de Jack l’éventreur. L’alter-ego violent du médecin s’appelle d’ailleurs ici Jack Hyde et arpente les rues de Whitechapel à la recherche de prostituées qui lui rappellent la femme libidineuse de ses souvenirs/cauchemars d’enfance. Londres s’ensanglante, Scotland Yard ne sait plus où donner de la tête et Elizabeth (Glynis Barber), la femme de Jekyll, commence à se demander si son époux se rend bien à l’hôpital chaque nuit, comme il le prétend…
En roue libre
Le film fait l’économie des séquences de métamorphose et des effets spéciaux de maquillage. Tout se joue dans l’expression du visage d’Anthony Perkins, abandonnant toute velléité de subtilité au profit d’une mine crispée, d’un regard fou encadré de rimmel, d’un teint blafard et d’une tignasse désordonnée. Visiblement laissé en roue libre, l’acteur gesticule bizarrement, tord sa bouche, malaxe les fesses et les poitrines des prostituées, débite des propos grossiers et insultants, bref part dans tous les sens comme s’il se savait déjà en bout de course (déjà très malade, il s’éteindra en 1992). Dans le film, la distinction entre Hyde et Jekyll finit par devenir floue. Car le gentil docteur, après deux ou trois transformations, devient lui-même arrogant, cynique et provocateur, non seulement avec sa femme mais aussi avec ses collègues et son entourage social. Si la mise en scène se révèle souvent aussi fonctionnelle que celle d’un téléfilm des eighties, Kikoïne se laisse aller chaque fois qu’il le peut à des sursauts baroques, inclinant sa caméra, allongeant les ombres portées et saturant son image d’éclairages colorés. Ce Docteur Jekyll et Mister Hyde est donc à cheval entre deux écoles, classique par moments, complètement bis et déviant par ailleurs, comme s’il était lui-même frappé de schizophrénie. Présenté hors compétition en 1989 au festival d’Avoriaz puis sorti en salles en catimini, le film de Kikoïne n’aura guère déplacé les foules et serait sans doute tombé dans l’oubli s’il n’offrait pas au public curieux la possibilité d’assister à l’une des dernières prestations – si outrée soit-elle – d’Anthony Perkins.
© Gilles Penso
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