THE PRIMEVALS (2023)

Il aura fallu près de 60 ans pour que ce film fou, hommage anachronique aux mondes fantastiques de Ray Harryhausen, soit enfin achevé…

THE PRIMEVALS

 

2023 – USA

 

Réalisé par David Allen

 

Avec Juliet Mills, Richard Joseph Paul, Leon Russom, Walker Brandt, Tai Thai, Eric Steinberg, Robert Cornthwaite, Dolph Scott, Kevin Mangold, Jeffrey S. Farley

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA CHARLES BAND

The Primevals est un projet auquel le créateur d’effets spéciaux David Allen aura consacré toute sa vie. Dès la fin des années 60, il en imagine les premiers concepts, sous le titre de Raiders of the Stone Ring, puis l’abandonne pour le reprendre dix ans plus tard en le proposant au producteur Charles Band. « Charlie m’a demandé dans un premier temps de participer aux effets spéciaux de plusieurs films qu’il produisait », raconte David Allen. « The Primevals a été interrompu une nouvelle fois à cause des problèmes financiers de la compagnie Empire qui a finalement fait faillite pendant le tournage de Robot Jox. The Primevals a ensuite été repris en main par Charles Band sous l’égide de sa compagnie Full Moon, et j’ai enfin pu démarrer le tournage en 1994, avec des moyens assez luxueux en regard des autres productions Full Moon » (1). Le film bénéficie en effet d’un budget de plus de six millions de dollars. Une bobine d’essai avait déjà été tournée en 1978, mais en l’espace de 20 ans le récit a connu maintes modifications et les techniques employées par David Allen se sont perfectionnées. Le scénario définitif, réminiscence du Monde perdu, de King Kong et surtout de la saga « John Carter » d’Edgar Rice Burroughs, tourne autour d’un Yéti découvert dans un village Sherpa. La créature, abattue, tombe entre les mains de plusieurs scientifiques. Pour découvrir d’où vient ce chaînon manquant, une expédition s’apprête à braver plusieurs dangers dans les montagnes de l’Himalaya. Ils découvrent un site non humain qui pourrait bien être d’origine extra-terrestre…

Après le tournage principal en Roumanie, achevé en 1996, David Allen, Chris Endicott et Wes Ceafer s’attellent au long et difficile travail des effets spéciaux visuels, étalé sur plus de trois ans. Les 200 plans d’animation du film concernent notamment ce fameux abominable homme des neiges très expressif dont la morphologie et le comportement s’inspirent à la fois de King Kong et de Monsieur Joe. Outre le Yéti, toute une tribu d’hommes-lézards agressifs s’anime dans The Primevals. Cette somme colossale de travail est d’autant plus ralentie qu’elle n’est prise en charge à temps plein que par trois hommes et qu’elle est régulièrement interrompue par les films publicitaires commandités au studio de David Allen. Sans compter les plans extrêmement complexes du film, notamment ceux dans lesquels des centaines d’hommes-lézards s’agitent en même temps dans les gradins d’une arène. « Avec tous les avantages que comporte l’image de synthèse et toutes les propositions que l’on me fait dans ce domaine, je serais fou de refuser de l’utiliser », explique David Allen. « Mais je souhaite terminer ce film avec une technologie que je connais parfaitement et que je comprends » (2) Hélas, il s’éteint le 6 août 1999 avant d’avoir pu achever l’œuvre de sa vie. The Primevals aurait pu être le tout dernier long-métrage réalisé dans l’esprit et avec les techniques de Ray Harryhausen. Un film en voie de disparition, en quelque sorte.

Les aventuriers du film perdu

Fort heureusement, l’histoire de The Primevals ne s’arrête pas là. En 2019, à l’initiative de Full Moon et de Chris Endicott, ami et partenaire de longue date de David Allen, le projet redémarre. Financée partiellement par une campagne participative, la finalisation de cette fantaisie inachevée sollicite plusieurs spécialistes de la stop-motion, notamment l’animateur Kent Burton, collaborateur de longue date des frères Chiodo. Les ambitieuses séquences d’effets spéciaux imaginées par David Allen et restées au stade du storyboard ou de l’animatique reprennent donc vie progressivement, image par image. Aucun long-métrage n’aura mis autant de temps à se concrétiser, et le résultat, forcément hybride et atemporel, le positionne indubitablement comme un objet filmique étrange, à cheval entre plusieurs époques. Le scénario semble avoir été écrit dans les années 30, les effets spéciaux utilisent des techniques issues des années 60/70, le look des personnages évoque les années 90… En l’état, The Primevals est une curiosité anachronique entravée par un jeu d’acteurs faiblards, des péripéties primaires et une mise en scène un peu statique. Mais dès que la magie des effets de David Allen – et de ses successeurs – jaillit à l’écran, nous revoilà plongés dans les univers fantastiques dont surent nous bercer Willis O’Brien, Ray Harryhausen et Jim Danforth. Finalement, l’envers du décor est ici plus passionnant que le film lui-même. Et quelle que soit la qualité du résultat final, la concrétisation si tardive d’un tel rêve d’enfant ne peut que susciter l’émerveillement et l’admiration.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998

 

© Gilles Penso


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