TAKE SHELTER (2011)

Obsédé par l’arrivée hypothétique d’une tempête apocalyptique qui menace de tout détruire, un homme sombre dans la paranoïa…

TAKE SHELTER

 

2011 – USA

 

Réalisé par Jeff Nichols

 

Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart, Shea Whigham, Katy Mixon Greer, Natasha Randall, Ron Kennard, Scott Knisley, Robert Longstreet

 

THEMA RÊVES I CATASTROPHES

Take Shelter est le second long-métrage de Jeff Nichols après Shotgun Stories, un thriller familial intense et poétique dans lequel il mettait déjà en scène Michael Shannon, appelé à devenir son acteur fétiche. Shannon réapparaîtra en effet dans Midnight Special et dans le clip Long Way Back Home pour le groupe Lucero. Si elle a su conquérir la critique et le public, remportant le Grand Prix du Festival du cinéma américain lors de son passage à Deauville en septembre 2011, cette œuvre étrange à mi-chemin entre le drame intimiste, le film d’horreur et le cinéma catastrophe, ne révèle pas tous ses mystères et demeure inclassable. C’est l’histoire d’une obsession. Celle d’un homme persuadé qu’une terrible tempête approche en menaçant de tout détruire et qui sacrifie tout – son temps, son argent, sa santé mentale et physique, son travail, ses amis, sa famille – pour pouvoir construire un abri souterrain dans son jardin (avec une frénésie qui rappelle celle de Kevin Bacon creusant la terre dans Hypnose). Rien de rationnel ne dicte cette conduite monomaniaque à la lisière de l’hystérie, à l’exception d’une série de cauchemars de plus en plus effrayants au cours desquels s’abat une pluie épaisse tandis que gronde le tonnerre…

Curtis (Shannon) est pourtant un homme simple qui réside dans une zone rurale de l’Ohio avec sa femme Samantha (Jessica Chastain) et leur fille Hannah (Tova Stewart) et qui gagne sa vie comme un conducteur de travaux, apprécié par ses collègues et ses employeurs. Mais dès l’entame, quelque chose semble vouloir enrayer cette tranquille routine. Car notre homme commence à se focaliser de manière insistante sur le ciel dont le comportement lui semble anormal. Les nuages se forment bizarrement, les oiseaux dessinent des figures inhabituelles, la pluie ressemble à de l’huile de moteur. Puis viennent les hallucinations, dans lesquelles son chien devient une bête sauvage, les meubles du salon entrent en lévitation, des inconnus l’agressent… Alors qu’il commence à s’inquiéter pour sa santé mentale, Curtis parvient de plus en plus difficilement à distinguer la réalité de l’illusion. « Ce n’est pas seulement un rêve, c’est une sensation », finira-t-il par avouer à son épouse…

Avis de tempête

Au cœur de cette fable qu’on pourrait qualifier de « pré-apocalyptique », Shannon et Jessica Chastain livrent d’intenses prestations à fleur de peau, le couple très réaliste qu’ils campent en début de film s’effritant progressivement avec à la clé une question lancinante : vont-ils tenir le choc ? Organique, la mise en scène de Jeff Nichols alterne au montage la pluie qui tombe et l’eau d’une douche, les saccades d’un marteau piqueur et celles d’une machine à coudre, bref entremêle la normalité et l’étrangeté pour mieux entretenir le trouble. A l’avenant, un décalage se crée entre la musique au glockenspiel qui ponctue le film, évoquant une certaine innocence enfantine, et la tension croissante qui s’installe. Ouvert à toutes les interprétations, l’épilogue est pourtant limpide pour le cinéaste. « J’avais une idée très précise de la fin de Take Shelter », explique-t-il. « Je sais exactement ce qui se passe, et il est fascinant de voir les gens y réagir à leur manière. Ce qu’il y a de bien dans ce type de narration, c’est que vous ne vous contentez pas de raconter une histoire aux gens. Ils vous disent aussi quelque chose sur eux-mêmes à travers leurs réactions. Vous êtes en conversation avec votre public. C’est actif, cinétique, et c’est une véritable leçon d’humilité » (1). Jeff Nichols poursuivra ses déclinaisons des codes du genre fantastique avec Midnight Special en 2016.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans « Creative Screenwriting » en 2016.

 

© Gilles Penso


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