DÉLIVRANCE (1972)

Quatre amis en canoë dans les rapides, un duo de guitare et de banjo, une agression sauvage en pleine nature… et John Boorman réinvente le « survival »

DELIVERANCE

 

1972 – USA

 

Réalisé par John Boorman

 

Avec Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty, Ronny Cox, Ed Ramey, Billy Redden, Seamon Glass

 

THEMA TUEURS

Paru en 1970, le roman « Délivrance » de James Dickey serait inspiré d’un fait réel. Cette information est cependant difficile à vérifier, l’écrivain se distinguant par son caractère exubérant doublé d’un fort penchant pour la bouteille. Toujours est-il que Sam Peckinpah s’intéresse fortement à ce livre qu’il souhaite adapter à l’écran avant de découvrir que John Boorman en a déjà obtenu les droits. Peckinpah s’en va donc réaliser Les Chiens de paille (qui aborde plusieurs thématiques communes) et Boorman s’attaque aux préparatifs en envisageant plusieurs têtes d’affiche pour satisfaire le studio Warner Bros. Contactés, Jack Nicholson et Marlon Brando risquent cependant de réclamer des salaires impensables pour une telle production. Le cinéaste revoit donc ses ambitions à la baisse. Son quatuor d’acteurs vedettes sera constitué de Burt Reynolds (qui cherche à échapper au ghetto des séries B et des séries TV), Jon Voight (qui connaît un passage à vide depuis sa remarquable prestation dans Macadam Cowboy) ainsi que Ned Beatty et Ronny Cox qui n’ont encore jamais joué au cinéma et que Boorman découvre sur les planches. Tous les quatre incarnent un groupe d’amis désireux de rompre la routine de leur vie citadine le temps d’un week-end. Leur projet consiste à descendre en canoë une grande rivière de Georgie, dans un splendide cadre sauvage. Mais la balade va basculer dans le cauchemar.

Même si la plupart des dialogues du film reprennent quasiment mot à mot ceux du roman, Boorman tient à une approche spontanée et naturaliste, poussant ses comédiens à proposer des idées nouvelles (notamment pendant la fameuse séquence du viol). Le tournage s’effectue sur la rivière Chatooga, à la frontière de la Georgie et de la Caroline du Nord. Chaque jour, une heure et demie de trajet en 4×4 s’avère nécessaire pour transporter l’équipe et les canoës jusque sur ce site naturel. Pleinement impliqués, les acteurs effectuent leurs propres cascades pour éviter des coûts supplémentaires à la production (qui, du reste, n’a contracté aucune police d’assurance). C’est donc Jon Voight qui escalade lui-même la falaise et Burt Reynolds qui tombe dans les rapides – avec à la clé une fracture du coccyx ! Ces partis-pris donnent clairement aux spectateurs le sentiment que tout ce qui se passe à l’écran se déroule vraiment sous leurs yeux. L’impact de Délivrance n’en est que plus fort.

Le jeu des contrastes

Délivrance appuie toute sa construction sur le jeu des contrastes. Le premier, évident, provient de l’intrusion presque anachronique de ces quatre citadins américains dans un cadre rural et sauvage, habité par des gens dont on a du mal à dire qu’ils sont leurs semblables. Mais cette confrontation ne laisse rien augurer de funeste dans un premier temps. Elle se teinte même d’humour, Bobby (Ned Beatty), le plus moqueur des quatre amis, n’hésitant pas à souligner ces différences avec cynisme. A travers la formidable séquence des « duelling banjos », les hommes des villes et les hommes des champs finissent par trouver un terrain d’entente et même une certaine harmonie. Mais la violence et la barbarie surviennent soudain, marquant un nouveau contraste, à la fois avec ce prologue paisible et avec le site magnifique et luxuriant qui sert de cadre à l’action. Le spectateur est d’autant plus surpris que le film semblait vouloir dégager une philosophie écologique en prônant un salutaire retour à la nature. Délivrance bascule donc sans préavis dans l’horreur sordide, aussi saugrenue et réaliste que les premières œuvres de Wes Craven et Tobe Hooper. Le film de John Boorman redonne alors ses lettres de noblesse au « survival », sous-genre cinématographique qui s’attache aux efforts de protagonistes fuyant la mort dans un milieu hostile. Il en deviendra dès lors le nouveau mètre étalon, la référence absolue.

 

© Gilles Penso


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