Que deviennent les amis imaginaires de notre enfance lorsque nous sommes adultes ? Existent-ils encore quelque part, prêts à revenir ?
Si le titre original de ce conte fantastique joue sur le mot « if » (il s’agit à la fois de la traduction de « si », dans le sens « et si ? », et des initiales de « imaginary friends », autrement dit « amis imaginaires »), les distributeurs français ont opté pour une appellation plus traditionnelle qui cligne volontairement de l’œil vers Monstres & Cie. Ce choix n’est pas tout à fait hors-sujet, dans la mesure où John Krasinski définit lui-même son long-métrage comme « un film Pixar avec des prises de vues réelles ». Il est vrai que son concept, bâti sur l’imagination enfantine, n’aurait pas dépareillé aux côtés de Toy Story, Vice-versa ou Élémentaire. C’est pendant la pandémie du Covid 19 que l’auteur/producteur/acteur/réalisateur, confiné avec sa femme et ses deux jeunes enfants, en élabore le scénario. « Tous les jeux imaginaires auxquels mes filles s’adonnaient d’habitude devenaient de moins en moins nombreux », raconte-t-il. « Elles ont commencé à s’inquiéter de l’avenir. Je me suis dit que c’était sans doute ça, grandir : choisir de laisser tomber tout ce qui vient de l’enfance pour entrer dans le monde réel » (1). L’histoire de Blue & compagnie prend alors forme petit à petit, Krasinski se laissant volontairement influencer par quelques œuvres qui lui sont chères, de E.T. l’extra-terrestre aux Goonies en passant par Le Cercle des poètes disparus.
Héroïne récurrente de The Walking Dead (où elle jouait la fille du shérif Rick Grimes), Caitley Fleming incarne Bea, une gamine de 12 ans qui emménage dans l’appartement newyorkais de sa grand-mère (Fiona Shaw, la tante Dursley des Harry Potter) pendant que son père (John Krasinski) attend une opération du cœur dans l’hôpital où sa mère est morte d’un cancer des années plus tôt. Si les pitreries facétieuses de son père continuent à l’amuser, Bea aimerait qu’on la considère comme quelqu’un de responsable et de sérieux. Mais un soir, en traversant la rue, elle aperçoit une énorme créature velue et violette, aux allures de yéti jovial et pataud, puis plus tard une sorte de papillon anthropomorphe qui semble échappé d’un vieux dessin animé des années 30. Ces créatures sont accompagnées par un homme inconnu (Ryan Reynolds) qui adopte avec elles une attitude paternaliste. Bea ne le sait pas encore, mais se vie vient définitivement de basculer…
Une capsule temporelle
Il peut paraître étrange que John Krasinski ait enchaîné Blue & Compagnie après Sans un bruit et sa suite, deux films d’horreur et de science-fiction qui semblent parfaitement aux antipodes de cette fable colorée pétrie de bons sentiments. Mais le cinéaste – que l’on sait par ailleurs éclectique – considère ces œuvres comme les facettes d’une même pièce avec une thématique commune : la préservation de la cellule familiale malgré l’adversité. Pour donner une voix à la multitude de créatures fantasmagoriques qui peuplent le film, Krasinski convoque un impressionnant parterre de stars. Au-delà de sa propre épouse Emily Blunt et de son comparse de The Office Steve Carrell, il sollicite pêle-mêle Louis Gossett Jr. (ce sera son dernier rôle), Phoebe Waller-Bridge (héroïne du cinquième Indiana Jones), Bradley Cooper, Matt Damon, George Clooney, Sam Rockwell… Même Brad Pitt est crédité au générique, mais c’est une blague puisqu’il est censé incarner un personnage invisible et muet ! La morale de cette petite histoire est simple : les adultes n’ont pas besoin de chasser les créations imaginaires qu’ils bâtirent pendant leur enfance. « Ce monde magique que vous avez créé est une capsule temporelle dans laquelle vous pouvez toujours retourner » (2), nous dit Krasinski en guise de conclusion. Pas foncièrement inoubliable, Blue & Compagnie ne pousse pas aussi loin le grain de folie, l’audace et la démesure que les films Pixar dont il s’inspire, mais il sait toucher habilement la corde sensible et prouve une nouvelle fois le talent précoce de la très prometteuse Caitley Fleming.
(1) et (2) Extraits d’un entretien paru dans « USA Today Entertainment » en mai 2024
© Gilles Penso
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