Orson Welles adapte un récit tourmenté de Franz Kafka et plonge Anthony Perkins dans un cauchemar paranoïaque…
THE TRIAL
1962 – FRANCE / ITALIE / ALLEMAGNE
Réalisé par Orson Welles
Avec Anthony Perkins, Orson Welles, Jeanne Moreau, Romy Schneider, Akim Tamiroff, Arnoldo Foa, Jess Hahn, Billy Kearns, Madeleine Robinson
THEMA POLITIQUE FICTION
S’ils se sont côtoyés sur le tournage d’Austerlitz d’Abel Gance, Nelly Kaplan et Roger Richebé, le producteur Alexander Salkind et l’acteur/réalisateur Orson Welles n’ont jamais eu l’occasion de collaborer ensemble. Le premier propose alors au second de choisir un livre appartenant au domaine public et de l’adapter. Salkind sera le producteur de ce projet et Welles le metteur en scène. La première œuvre envisagée est « Taras Bulba » de Nikolai Gogol, mais les deux hommes changent d’avis en apprenant que Jack Lee Thompson en prépare une adaptation à grand spectacle avec Tony Curtis et Yul Brynner. Welles se tourne finalement vers « Le Procès » de Franz Kafka, publié de manière posthume en 1925. Le cinéaste est fasciné par ce récit tourmenté et paranoïaque, vision désespérée et absurde d’une société gangrénée par la bureaucratie qui préfigure la montée du totalitarisme et la quête d’un bouc-émissaire prêt à endosser tous les maux du monde (en l’occurrence le peuple juif). Dans « Le procès », l’individu est écrasé par le poids d’une administration grotesque et injuste, un thème que déclineront plus tard George Orwell dans « 1984 » et Terry Gilliam dans Brazil. Armé d’un budget de 650 millions de francs (obtenu auprès d’investisseurs ouest-allemands, français et italiens), Welles s’implique totalement dans le film, au point d’y jouer un rôle lui-même mais aussi de prêter sa voix à une bonne dizaine de personnages !
Josef K (Anthony Perkins) dort dans sa chambre, au milieu d’un appartement qu’il partage avec d’autres locataires. Il est soudain réveillé par un homme en costume qui pénètre chez lui sans s’identifier. S’agit-il d’un policier ? D’autres inconnus envahissent les lieux pour annoncer à Josef qu’il est en état d’arrestation, tandis que trois de ses collègues de bureau se joignent à eux pour fournir les preuves de son crime. Mais de quoi l’accuse-t-on ? Il n’en sait rien, d’autant que ses accusateurs le laissent en plan et quittent l’appartement sans rien lui expliquer. Incrédule, Josef discute de cette étrange visite avec sa voisine Marika Bürstner (Jeanne Moreau) puis se rend sur son étouffant lieu de travail, grouillant d’employés ordinaires qui, comme lui, sont noyés dans la masse. La journée est répétitive et rébarbative, comme toujours. Mais lorsqu’il se rend à l’opéra pour la soirée, Josef est enlevé par un inspecteur de police qui l’emmène dans une salle d’audience. Là, il s’apprête à être jugé pour un acte dont il n’a aucune connaissance. L’étau se resserre alors de manière de plus en plus cauchemardesque…
L’étau se resserre…
Malgré la bonne volonté manifeste d’Orson Welles et son respect pour le matériau qu’il adapte, Le Procès n’a pas tout à fait l’impact espéré. Au lieu de s’exercer dans la forme, il eut sans doute été préférable que la fidélité au texte de Kafka s’effectue sur le fond, ce qui aurait laissé au cinéaste plus de latitude pour affirmer son indéniable et gigantesque talent. Certes, de nombreuses séquences du film, appréhendées indépendamment, sont de beaux morceaux de bravoure (celles notamment situées dans le bureau immense de K où les employés et leurs tables s’étendent à perte de vue), d’autant qu’Anthony Perkins – à peine échappé de la psychopathie du Norman Bates de Psychose – excelle dans le rôle de l’homme anonyme pris dans un engrenage incompréhensible. Mais le manque de cohésion de l’intrigue joue en défaveur du film. Au lieu de l’implacable toile d’araignée tissée lentement autour d’un malheureux individu auquel le spectateur aurait pu – aurait dû – s’identifier, le scénario nous éloigne, crée une distance entre le personnage et les spectateurs, nous laissant la sensation d’être plongés dans un puzzle pseudo surréaliste et relativement hermétique. Peu adaptés selon lui au propos du film, les découpages complexes et les cadrages aux savantes compositions dont Welles s’est fait une spécialité sont ici délaissés au profit de caméras plus mobiles et de longs plans-séquences, aménagés afin de laisser librement les comédiens échanger leurs abondants dialogues. Si le cinéaste estimait à l’époque de sa sortie que Le Procès était son meilleur film, la critique américaine ne se révéla guère emballée. Les Français l’accueillirent avec plus de chaleur, lui décernant même le prix du meilleur film du Syndicat de la critique en 1963.
© Gilles Penso
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