Le réalisateur d’Ex Machina plonge le peuple américain dans une violente guerre civile dont le réalisme fait froid dans le dos…
CIVIL WAR
2024 – USA
Réalisé par Alex Garland
Avec Nick Offerman, Kirsten Dunst, Wagner Moura, Jefferson White, Nelson Lee, Evan Lai, Cailee Spaeny, Stephen McKinley Henderson, Vince Pisani
THEMA POLITIQUE FICTION
Jusqu’à il y a peu, les moteurs de recherche proposaient comme résultat pour le film Civil War le populaire épisode du MCU où les iconiques Avengers se divisaient entre les partisans de Captain America, qui privilégiaient l’indépendance, et ceux qui soutenaient le choix d’Iron Man de se ranger du côté du gouvernement. Le quatrième film d’Alex Garland est venu changer la donne depuis son avant-première mondiale au SXSW Festival d’Austin en mars 2024. En effet, malgré une classification R (Restricted) par la MPA, la jauge de popularité penche désormais en sa faveur avec un week-end de démarrage fulgurant qui le classe en tête du box-office américain. Situé dans un futur proche dont il est difficile de se distancier dans l’état du monde actuel, cette dystopie au rythme haletant, glaçante de bout en bout, est paradoxalement aussi un hymne à la vie qui célèbre et questionne l’éthique journalistique et les grands reporters de guerre. Sans préambule, le film nous projette en plein chaos sur le continent américain où la fiction extrapole les peurs du moment, dans l’attente de la soixantième élection présidentielle qui divise dramatiquement le pays de la liberté d’expression. Ici le non-respect de la Constitution a viré au cauchemar lorsque le président en place (Nick Offerman), après avoir aboli le FBI, a violé la loi en se représentant pour un troisième mandat. C’est alors qu’un couple de journalistes aguerris, Lee Smith (Kirsten Dunst) et Joel McCullin (Wagner Moura), décide de braver émeutes et dangers pour couvrir le conflit et éventuellement obtenir une interview. Avec réticence, ils embarquent avec eux un vétéran journaliste ,Sammy (Stephen Henderson, interprète de Thufir Hawat dans Dune), et Jessie (Cailee Spaeny), une jeune admiratrice de Lee.
Le quatuor multigénérationnel prend donc la route de New York à Washington D.C., dans un contexte où chacun semble armé jusqu’aux dents et prêt à tirer à vue sur quiconque se présente à lui. Ce n’est donc pas une menace extérieure ni étrangère qui ravage le mainland des Etats-Unis disloqués mais, comme le titre du film l’indique, une guerre civile qui fait écho de façon par trop réaliste au choc civilisationnel qu’a été dans la réalité l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, lorsque le président sortant a encouragé ses supporters (à l’appel de « Save America ») à contester par tous les moyens les résultats de l’élection américaine de 2020. Pour autant, si les oppositions idéologiques et les violentes émeutes de l’actualité sont de toute évidence une source d’inspiration concernant le contexte fictionnel du film, le propos d’Alex Garland n’est pas tant de dresser un tableau anxiogène qui exacerbe la montée des extrêmes en confrontant les USA à ses propres démons. Le film se positionne avant tout pour défendre avec force ce qui reste le garant d’une saine démocratie : le droit à l’information fiable et objective d’une presse libre et indépendante. Si les portraits d’un président autocratique et d’états qui font sécession nous ramènent à l’inquiétude face à la politique contemporaine, le réalisateur britannique brouille les pistes pour éviter le piège du manichéisme qui ne ferait que renforcer les divisions déchirant les états du nord au sud et d’est en ouest. Il imagine donc pour sa fiction une seconde guerre civile, comme l’avait fait Joe Dante avant lui sur le ton de la comédie, mais qui ici fait rage. Surtout, il oppose d’un côté les forces rebelles de l’Ouest qui rallient la Californie et le Texas, rejointes par la Floride et soutenues par l’armée officielle, et de l’autre les milices gouvernementales du pouvoir fédéral. Dans ce marasme où tout le monde se ressemble et où chacun peine à identifier qui est un ennemi ou un allié (ce qui rajoute à l’absurdité de la situation) règne la loi de la jungle avec pour seul mot d’ordre : « Quelqu’un veut nous tuer, on le tue ».
God Bless America !
Cette atmosphère apocalyptique et primaire renvoie également d’une façon non anodine à celle des jeux de survie en équipe en ligne (Garland a également participé à l’écriture du scénario de « Enslaved : Journey to the West » sorti sur Playstation 3 et Xbox 360 en 2010) Et on peut voir plus qu’une coïncidence du calendrier dans le fait que d’autres films comme Knit’s Island ou The Sweet East traitent en même temps de l’inquiétude face au possible déclin d’une civilisation que l’on pensait garante des valeurs de liberté, et du système démocratique que l’on croyait le plus à même de la protéger. Kirsten Dunst, que la maternité et la vie familiale avaient provisoirement écartée des écrans, fait ici un retour triomphal dans ce rôle de reporter de guerre rappelant les grandes figures historiques du photojournalisme, à commencer par ses illustres pionnières comme Gerda Taro et Lee Miller à qui la protagoniste principale emprunte son prénom, tandis que le personnage de Joel s’inspire de Don McCullin. La démesure triomphe dans un final à la Scarface de Brian de Palma, dont le scénario était signé par Oliver Stone. Il n’est donc pas si étrange que le réalisme exalté et romanesque du film évoque Salvador (1986), l’un des meilleurs films du réalisateur de Platoon, et qu’une filiation transparaisse entre ces fictions qui lorgnent vers le documentaire politique. Si Civil War effraie par son déferlement de violence et n’est donc pas destiné à tous les publics, il devrait agir sur les consciences en tant que mise en garde de cette possible escalade des violences dont nous ne connaissons que trop bien les conséquences.
© Quélou Parente
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