Klaus Kinski incarne le plus célèbre des tueurs en série dans ce slasher victorien réalisé par Jess Franco…
DER DIRNENMÖRDER VON LONDON
1976 – ALLEMAGNE
Réalisé par Jess Franco
Avec Klaus Kinski, Josephine Chaplin, Andreas Mannkopff, Herbert Fux, Lina Romay, Nikola Weisse, Ursula von Wiese, Hans Gaugler, Francine Custer
THEMA TUEURS
Pour son soixante-quinzième long-métrage, l’infatigable Jess Franco décide de s’attaquer au célèbre assassin de Whitechapel à qui il donne le visage tourmenté de Klaus Kinski. Le cinéaste et l’acteur se retrouvent ainsi pour la quatrième fois après avoir collaboré sur Les Infortunes de la vertu, Paroxismus et Les Nuits de Dracula. Tourné en une semaine seulement, Jack l’éventreur est un film allemand conçu pour le marché anglo-saxon. Franco aurait pu filmer chaque scène dans les deux langues, une méthode qui se pratiquait encore à l’époque. Mais il opte pour une technique plus proche de celle des réalisateurs italiens des années 60 : aucune prise de son en direct. Les dialogues sont donc tous enregistrés après coup, d’abord en allemand et en anglais pour les deux versions officielles du film, puis dans toutes les autres langues pour le reste du marché international. Assez bizarrement, Franco semble ici se servir du célèbre éventreur pour réaliser une sorte de remake déguisé de son Horrible docteur Orloff, lui-même relecture officieuse des Yeux sans visage de Georges Franju. Plusieurs séquences sont similaires : le tueur qui transporte ses victimes en barque jusque dans son repaire, le portrait-robot dans le commissariat, la fiancée de l’inspecteur qui quitte ses chaussons de ballerine pour mener l’enquête en se faisant passer pour une prostituée. Franco assume la démarche au point d’appeler son éventreur… docteur Orloff !
Orloff est donc un médecin renommé qui ne laisse pas indifférente sa logeuse (Olga Gebhard), émerveillée par la générosité du bon docteur face aux patients démunis et sans le sou dont il s’occupe sans rechigner. Mais le soir venu, notre homme arpente les ruelles brumeuses de Londres et kidnappe des prostituées qu’il transporte jusque dans son jardin caché de l’autre côté de la Tamise, avec la complicité de son assistante (Nikola Weisse), ravie de voir toujours débarquer de nouvelles « poupées ». Les pulsions meurtrières d’Orloff nous sont expliquées à travers ses nuits solitaires où des rires féminins venus de nulle part viennent le hanter. Car il y a un traumatisme d’enfance derrière ces meurtres en série, une névrose primaire qui s’est progressivement muée en psychose et qui nous ramène à plusieurs giallos de Dario Argento s’attachant au même type de profil obsessionnel. Alors que le sang continue à couler, l’enquête menée par l’inspecteur Selby de Scotland Yard (Andreas Mannkopff) piétine dangereusement…
L’étrange névrose de Monsieur Jack
Jack l’éventreur fait partie des longs-métrages les plus « propres » de Jess Franco, ceux dont la mise en scène est moins brouillonne qu’à l’accoutumée. La forme du film est particulièrement soignée, jouant habilement sur les jeux d’ombres, les mouvements de caméra, le découpage. Bref, c’est du travail de qualité. Revers de la médaille, ce « slasher victorien » est sans doute trop sage. Kinski lui-même reste en demi-mesure, comme s’il ne savait pas trop ce que Franco attendait de lui. Plusieurs gros plans insistent certes sur son regard perçant, mais son jeu se révèle désespérément sobre. Ce n’est pourtant rien à côté de l’abyssale inexpressivité d’Andreas Mannkopff, interprète monocorde d’un inspecteur de police neurasthénique. Franco égaie son métrage d’un peu de nudité et d’une poignée de visions macabres (une main tranchée découverte par un pêcheur, le sein d’une victime découpé en gros plan) et concocte avec son co-scénariste Jean-Claude Carrière des dialogues à cheval entre le lyrisme excessif (le témoin aveugle qui décrit l’assassin en des termes bizarrement poétiques) et la banalité quasi-caricaturale (les confidences du flic et de son ex-petite amie, les échanges entre Orloff et sa logeuse). Bref, voilà un Jack l’éventreur qu’on aurait aimé moins sage et plus débridé, Franco ayant visiblement calmé ses ardeurs pour tenter d’attirer le public le plus large.
© Gilles Penso
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