SLEEP (2023)

Jason Yu, protégé du réalisateur Bong Joon-ho, signe un premier long-métrage récompensé par le Grand Prix du festival de Gérardmer…

SLEEP

 

2023 – CORÉE

 

Réalisé par Jason Yu

 

Avec Lee Sun-kyun, Yu-mi Jung, Kim Gook Hee, Yoon Kyung-ho

 

THEMA FANTÔMES

Après avoir fait une première mondiale remarquée à Cannes dans la sélection de la Semaine de la Critique, Sleep est un film qui démarrait sous les meilleurs augures avant que l’on apprenne avec une grande tristesse, le 27 décembre 2023, la terrible nouvelle de la mort de Lee Sun-kyun. Star de premier plan dans son pays, diplômé de la prestigieuse université des arts de Corée, l’acteur bénéficiait d’une reconnaissance internationale pour ses collaborations avec Hong Sang-soo et pour son rôle dans Parasite, Palme d’or et Oscar du meilleur film étranger en 2020. Dans Sleep, l’acteur de 48 ans incarne un père de famille aimant, forcé d’affronter une série de difficultés qui mettent sa famille en péril et son couple à rude épreuve. Lee y est particulièrement touchant. Sa disparition affecte en plus de ses proches toute une famille de cinéma sud-coréenne et de nombreux fans autour du monde, inconsolables à juste titre. Bong Joon-ho ne tarit pas d’éloges au sujet de Jason Yu ho, qui a été son assistant sur Okja. Le réalisateur, bien qu’avant tout amateur de comédies (comme Sam Raimi), signe ici un premier film horrifique qui suscite l’intérêt par ses multiples degrés de lectures.

Soo-Jin (Yu-mi Jung, vue entre autres dans l’excellent film de zombies de Yeon Sang-Ho Dernier train pour Busan, sorti en 2016), est une jeune femme d’affaires séduisante et sûre d’elle. Elle forme avec son mari Hyun-su (Sun-kyun Lee), un couple bien décidé à rester soudé au-delà des épreuves de la vie, selon la formule consacrée « pour le meilleur et pour le pire ». Seulement le pire va arriver plus tôt que prévu. Enceinte, Soo-Jin voit d’abord son mari, acteur de profession, perdre confiance en lui à force d’enchaîner des rôles de figurant. Persuadée de son talent, elle ne doute pas le moins du monde de lui et l’encourage avec un tel enthousiasme que Hyun-su n’ose pas la décevoir. Ainsi, pensant la préserver, il commence à lui cacher que ce métier le met en proie au stress, cause probable de ses soudaines crises de somnambulisme. Hyun-su est en effet atteint de TCSP (Trouble du comportement en sommeil paradoxal) et ses crises se multiplient. Ce type de somnambulisme dit « à risque » pouvant conduire à des actes fatals, les jeunes mariés se voient dans l’obligation de sécuriser toute la maison et de cacher tout objet susceptible d’être dangereux. Malgré l’amour qui les soude et le fait que tout se passe bien dans la journée, Soo-Jin, en manque de sommeil, devient de plus en plus anxieuse. Aussi, lorsque leur bébé voit le jour, craignant de le mettre en danger suite aux faits divers sordides qu’elle a pu découvrir sur internet, les nerfs à vif, elle finit par craquer…

Le dernier film de Lee Sun-kyun

Après une première partie empreinte de réalisme, pour laquelle Jason Yu s’est beaucoup documenté, la tension monte d’un cran. Renvoyé de son travail, hospitalisé dans une clinique du sommeil, confié aux bons soins d’un médecin expérimenté qui le suit de près, Hyun-su se remet petit à petit de son trouble. Mais Soo-Jin n’est pas sereine pour autant. Alors qu’elle n’accordait jusque-là aucun crédit aux superstitions entendues, liées à la présence supposée d’un esprit fantôme qui voudrait prendre la place du somnambule auprès de sa femme, elle se laisse gagner par le doute, puis par l’inquiétude et finalement la terreur. Bientôt, la version la plus irrationnelle des faits s’impose à elle comme une évidence. Le couple va-t-il réussir à se sauver et rester fidèle à son serment de mariage qui promettait de toujours rester ensemble et de tout surmonter ? L’intrigue de Sleep s’inscrit dans les croyances les plus anciennes de la péninsule coréenne, et c’est en jouant sur plusieurs tableaux que le film tient haleine jusqu’au bout, servi par ses deux formidables interprètes. Si le suspense et l’horreur le sous-tendent, Sleep est aussi et surtout, de l’aveu même de son réalisateur, un film sur un couple et sur leur histoire d’amour. Le fait qu’il fasse soudain tragiquement écho à celui de l’acteur disparu (marié à la comédienne Jeon Hye-Jin dans la vie avec qui il avait deux enfants), le rend d’autant plus déchirant.


© Quélou Parente


Partagez cet article