SIDONIE AU JAPON (2023)

Une histoire intimiste et poétique entre Le Fantôme de Madame Muir et Lost in Translation…

SIDONIE AU JAPON

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Élise Girard

 

Avec Isabelle Huppert, August Diehl, Tsuyoshi Ihara

 

THEMA FANTÖMES

Sidonie Perceval est écrivaine. A-t-elle un mauvais pressentiment, une appréhension, un simple vertige à l’idée de quitter la terre ferme pendant de trop longues heures de vol pour se rendre au Japon ? Nous n’en savons encore rien au moment où nous la découvrons à l’aéroport de Roissy hésiter à laisser sa valise décider de son destin et suivre son chemin sur le tapis roulant du guichet d’enregistrement. Contre toute attente, l’histoire nous apprendra que, malgré les apparences, Sidonie ne voyage pas seule. Elle est en fait accompagnée partout et tout le temps par le fantôme de son défunt mari, mais elle-même ne le sait pas encore. Car Sidonie est visiblement une personne de bon sens, qui a les pieds sur terre et n’est pas en proie à des lubies. Nous le voyons à sa façon de vivre, de s’organiser, de réagir, mais aussi à sa manière de s’habiller impeccablement, au pli près. Cette rigueur semble maintenir la vie intérieure riche et prolifique qui nourrit ses romans. Car à l’instar de la réalisatrice, en puisant dans son intimité, Sidonie parle aussi des autres, des émotions qu’elle partage avec ses lecteurs, ce qui lui vaut son franc succès. Aussi, son éditeur nippon qui l’espérait avec impatience, pour provoquer des rencontres avec son public, l’attend en personne à sa descente d’avion, pour assurer la promotion de son dernier roman.

Là, au rythme d’une nature sans cesse évoquée avec poésie, le temps semble interrompre sa course pour nous laisser le temps d’observer la douceur du pays du soleil levant et nous promener dans ses lieux iconiques. C’est donc dans une atmosphère propice à l’introspection et au rêve que son fantôme – puisque seule Sidonie peut le voir – se matérialise sous ses yeux effarés. Effrayée au plus haut point, puis résignée à accepter l’impensable tandis que son nouvel ami la rassure : au Japon, les morts ne le sont pas vraiment. Ce phénomène est banal et fait partie de la religion shintoïste la plus répandue dans le pays. Sidonie se laisse donc porter par cette situation singulière qui la conduit à faire son deuil et à découvrir une nouvelle vie où l’attend un bonheur inespéré et radieux. Le spectateur est convié lui aussi à prendre le message très au sérieux, à se l’approprier et à aller à la rencontre de lui-même et de ses propres fantômes, dans ce pays aux cerisiers en fleurs et aux mille merveilles qui sont mises en relief tout au long du film.

Sidonie Perceval en quête de son graal !

Sidonie nous offre ce voyage sous le regard d’une occidentale solitaire qui peu à peu s’abandonne au charme son pays d’accueil. L’Aventure de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz y côtoie la douceur des films sur le couple de Mikio Naruse. Après Valérie Donzelli et Lolita Chammah, pour son troisième long-métrage, Elise Girard (véritable cinéphile qui a également signé deux documentaires sur les exploitants des cinémas Action et St André des Arts) met en scène la mère de cette dernière : Isabelle Huppert qui, contrairement à la réalisatrice avant ce film, comptait déjà des films fantastiques dans sa filmographie (Au bonheur des ogres de Nicolas Bary ou Madame Hyde de Serge Bozon). La protégée de Claude Chabrol se glisse dans la peau de Sidonie comme dans un fourreau de haute-couture et illumine l’écran dans chaque plan, entre situations comiques pince-sans rire et romantisme, face à son partenaire, Tsuyoshi Ihara (acteur vu entre autres dans Letters from Iwo Jima de Clint Eastwood), qui incarne le personnage de Kenzo Mizoguchi, nom banal au Japon mais pas pour autant choisi par hasard dans le film ! La photo et les cadrages rendent une image épurée à l’extrême avec des couleurs qui, sans pour autant bénéficier des techniques du technicolor ou du cinémascope, nous font penser à la ligne claire du Godard des bons jours, celui du Mépris ou de Pierrot le fou. Bien que ce film d’auteur aux allures de série B fantastique, non exempt d’humour, se regarde indépendamment des deux autres, on peut dire qu’Elise Girard a signé avec Belleville Tokyo, Drôles d’oiseaux, et Sidonie au Japon, une trilogie rare et personnelle qui parle de solitude, d’amour, du fil des saisons, et qui résonne en nous comme les trois lignes d’un haïku.

 

© Quélou Parente


Partagez cet article