LA FOLIE DU DOCTEUR TUBE (1915)

En tout début de carrière, le réalisateur Abel Gance raconte les étranges expériences d’un savant fou à l’aide de trucages optiques d’avant-garde…

LA FOLIE DU DOCTEUR TUBE

 

1915 – FRANCE

 

Réalisé par Abel Gance

 

Avec Albert Dieudonné, Séverin-Mars

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE

La Folie du docteur Tube s’inscrit à l’aune de la carrière du cinéaste Abel Gance, alors qu’il expérimentait principalement les possibilités techniques offertes par le support filmique. Entre La Fleur des ruines et Le Masque de la falaise, tous deux réalisés en 1915, il s’essayait ainsi à une amusante variante de six minutes sur la thématique du savant fou. Pour être tout à fait honnête, le seul véritable intérêt de La Folie du docteur Tube, produit par Louis Nalpas pour la compagnie « Le Film d’Art » et mis en lumière par Léonce-Henri Burel, est son jeu permanent avec les miroirs déformants. Une copie de ce film vénérable fut récupérée par la Cinémathèque française en 1944 et sauvegardée par Henri Langlois pour pouvoir assurer la postérité de cette œuvre insolite menacée de sombrer dans l’oubli. « Ils ont des yeux pour voir et ils ne voient point, dit l’Évangile, alors on inventa pour eux les objectifs et toutes sortes d’objets de verre et de cristal », disait Langlois non sans humour pour décrire les expérimentations du film. « Et les têtes se déformèrent, s’allongèrent, grossirent ou diminuèrent devant les juges d’instruction » (1).

Sous le prétexte d’une poudre aux vertus étranges inventée par le médecin du titre (que d’aucuns se sont empressés d’interpréter comme étant de la cocaïne !), tous les personnages du film (Tube, son petit serviteur, deux jeunes femmes, leurs prétendants, un chien et un chat) se transforment en nabots au corps aplati. Selon le miroir utilisé, l’effet est plus ou moins concluant. Si certaines visions ont un effet comique indéniable (les deux femmes qui entrent dans l’appartement), d’autres, à peine lisibles à cause du degré élevé de déformation de l’image, sont difficiles à apprécier. Le fait que toute l’image (en particulier le mobilier et le décor) soit déformée en même temps que les personnages ôte pas mal d’efficacité à l’effet. Mais le découpage et la mise en scène sont suffisamment explicites pour que le film puisse se passer de sous-titres. Le docteur Tube est interprété par Albert Dieudonné, un acteur hystérique et longiligne, au regard fou et à la dentition irrégulière, affublé d’un faux crâne en forme d’œuf aux raccords parfaitement visibles. Les acteurs du film surjouent d’ailleurs à outrance, ce qui a pour effet de désamorcer fâcheusement l’impact comique des situations.

Un film boudé… puis redécouvert

C’est probablement l’une des raisons qui poussèrent le public à bouder cette pantalonnade fantastique lors de sa sortie sur les écrans. Le producteur lui-même ne sut trop quoi faire de ce film trop étrange à son goût et le rangea prudemment dans un tiroir. Quelques années plus tard, Abel Gance allait s’extraire de l’influence de Georges Méliès – clairement décelable ici – pour s’atteler à des œuvres moins anecdotiques, notamment J’accuse (1919), La Roue (1920), et le célébrissime Napoléon (1925) donnant à nouveau la vedette à Albert Dieudonné, au point que le réalisateur fut plus tard considéré comme l’un des plus grands noms de l’histoire du cinéma muet, aux côtés de D.W. Griffith et S.M. Eisenstein. De nombreux cinéastes prestigieux, de la trempe d’Akira Kurosawa, Ingmar Bergman, Stanley Kubrick ou Francis Ford Coppola, le citent souvent comme l’une de leurs plus grandes influences. Cette empreinte indélébile dans l’histoire du 7ème art est bien sûr difficile à anticiper lorsqu’on découvre ce sympathique mais très anecdotique Docteur Tube. Mais il faut bien faire ses premières armes avant d’entrer dans la cour des grands…

 

(1) Henri Langlois, cartel de l’exposition « Images du cinéma français » au Musée des Beaux-Arts de Lausanne, septembre 1945.

 

© Gilles Penso


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