La série la plus paranoïaque de l’histoire de la télévision plonge un ex-agent secret dans un monde totalitaire aux allures de village de vacances…
THE PRISONER
1967/1968 – GB
Créée par Patrick McGoohan et George Markstein
Avec Patrick McGoohan, Angelo Muscat, Peter Swanwick, Denis Shaw, Fenella Fielding, George Baker, Annette Andre, David Bauer, Sheila Allen, Leo McKern
C’est pendant le tournage de la série d’espionnage Destination Danger que Patrick McGoohan et George Markstein développent l’idée du Prisonnier. Les deux shows semblent d’ailleurs se suivre de près, comme si John Drake (l’agent secret qu’interprète McGoohan dans Destination Danger) était le même personnage que le protagoniste du Prisonnier (un espion qui vient de démissionner, toujours incarné par McGoohan). Si l’acteur a toujours démenti cette filiation, le public ne l’a pas toujours entendu de cette oreille, entrevoyant de nombreux indices susceptibles de renforcer ce lien, notamment certains épisodes de Destination Danger qui se situent dans la bourgade galloise de Portmeirion, celle-là même qui servira de décor principal pour le fameux village du Prisonnier. Aujourd’hui encore, la question du lien chronologique et thématique entre les deux séries reste sans réponse. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, Le Prisonnier crée beaucoup plus de mystères qu’il n’en dissipe. C’est même sa raison d’être. « Ne cherchez pas d’explications, vous n’en aurez pas, mais ouvrez votre esprit et réfléchissez » semblent vouloir nous dire ses 17 épisodes énigmatiques. Si la nature exacte de la participation de George Markstein à la création du Prisonnier reste incertaine, on sait que Mc Goohan, non content d’en tenir le rôle principal, en fut l’instigateur et parfois-même le scénariste et le réalisateur.
Entré dans la légende, le long générique plante le décor de manière dynamique. Le ciel tourmenté de Londres gronde dans un bruit de tonnerre. Au volant de sa voiture de sport, un agent secret traverse les rues de la ville puis s’enfonce dans un parking souterrain. Il poursuit son parcours à pied, arpentant le tunnel d’un pas décidé. La discussion avec l’interlocuteur qu’il retrouve dans un petit bureau (son supérieur) est animée. Notre homme est en colère. Il dépose une lettre de démission, frappe du poing sur la table puis tourne les talons. Lorsqu’il reprend la route qui le mène chez lui, une grosse limousine le suit de près. Et tandis que la machine bureaucratique se met en marche, enregistrant officiellement l’abandon de poste de l’espion, ce dernier regagne son appartement et prépare ses valises. Il est stoppé dans son élan par un gaz toxique qui pénètre chez lui par la serrure. Il perd connaissance. Lorsqu’il revient à lui, c’est dans une mystérieuse bourgade côtière simplement nommée « Le Village ». Tous les habitants semblent y vivre paisiblement, mais personne n’a de nom, uniquement des numéros. Lui-même porte désormais le numéro 6. « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! » finit-il pas s’écrier, mais sa voix se perd comme celle d’un prêcheur dans le désert. Le voilà captif dans une geôle à ciel ouvert dont il ne comprend ni le fonctionnement, ni la logique…
Bonjour chez vous !
Le Prisonnier nous plonge ainsi dans un univers totalitaire qui évoque les grands classiques du genre, de George Orwell à Franz Kafka. Mais nos repères se troublent dans la mesure où ce cauchemar prend les allures d’un paradis coloré, inoffensif et récréatif, une sorte de village de vacances mâtiné de conte de fées et de parc d’attractions, quelque part à mi-chemin entre Disneyland et l’univers joyeusement absurde d’Alice au pays des merveilles. La plus haute autorité à laquelle se frotte le n°6 est le n°2, qui ne cesse de changer de visage au fil des épisodes. Qui est le n°1 ? Pourquoi le n°6 est-il prisonnier ? Que lui veut-on ? Pourquoi les raisons de sa démission semblent-elles tant intéresser ses geôliers ? Beaucoup de questions et bien peu de réponses. Mais au lieu de baisser les bras comme tous les autres habitants, notre héros s’entête, résiste et marque son refus. Alors que la caméra le filme souvent en plongée, accentuant son front comme pour mieux insister sur l’intelligence du personnage et son opiniâtreté, les dialogues prennent souvent la forme de parties de ping-pong où chacun joue à qui aura le dernier mot. Chaque tentative d’évasion se solde par le même échec : le surgissement d’un gigantesque ballon blanc qui empêche notre héros de quitter les lieux. Et lorsqu’il retrouve ce village désespérément souriant, c’est pour entendre la salutation affable des autochtones : « bonjour chez vous ! ». Le Prisonnier est un classique atemporel et totalement inclassable, à la lisière de l’espionnage, la science-fiction, le thriller et la comédie, avec un goût du surréalisme qui n’est pas sans évoquer Chapeau melon et bottes de cuir et une culture de la paranoïa qu’on retrouvera dans Les Envahisseurs et X-Files. Quant au dernier épisode, il ne résout rien et ouvre au contraire d’autres portes et de nouvelles pistes de réflexion. Car rien n’est jamais certain dans cette série, sauf peut-être une chose : sa volonté farouche de se positionner comme un vif plaidoyer pour l’individualité et la liberté.
© Gilles Penso
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