Julia Roberts et Lily Collins s’affrontent dans cette réinterprétation du conte des frères Grimm mise en scène par l’esthète Tarsem Singh
MIRROR MIRROR
2012 – USA
Réalisé par Tarsem Singh
Avec Julia Roberts, Lily Collins, Armie Hammer, Nathan Lane, Jordan Prentice, Mark Povinelli, Joe Gnoffo, Danny Woodburn, Sebastian Saraceno, Martin Klebba
THEMA CONTES
Lorsqu’on lui propose d’incarner la méchante reine dans une énième version de « Blanche Neige », Julia Roberts ne se montre pas particulièrement enthousiaste, mais elle se ravise en apprenant le nom du réalisateur. L’univers visuel unique en son genre déployé dans les films de Tarsem Singh (The Cell, The Fall, Les Immortels) la séduit au plus haut point. Elle est d’ailleurs le premier et unique choix du réalisateur. Trouver l’interprète de Blanche Neige est moins simple. C’est d’abord Saoirse Ronan (Lovely Bones) qui est envisagée, mais elle est jugée trop jeune. Contactée dans la foulée, Felicity Jones (Rogue One) passe son tour. C’est finalement Lily Collins, fille du célèbre Phil (avec qui elle travailla sur le Tarzan de Disney en prêtant sa voix au bébé singe), qui hérite du rôle. L’entrée en matière montre la reine actionner un praxinoscope pour voir s’animer une fleur, ce qui nous ramène aux origines mêmes du cinéma (un médium dans lequel Tarsem ne cesse de s’épanouir). Puis ce sont les premiers pas de Blanche Neige qui nous sont racontés, sous forme d’un faux film de marionnettes (conçu en images de synthèse) trouvant quant à lui ses sources d’inspiration dans certaines œuvres féeriques du cinéma d’Europe de l’Est. Ce flash-back est narré par la voix cynique de la souveraine. « Ceci est mon histoire, pas la sienne », s’empresse-t-elle de dire, ce que le titre original semble vouloir confirmer en utilisant l’une des répliques les plus célèbres du personnage (« Miroir, miroir »), mais que le titre français occulte pour se contenter d’un banal Blanche Neige.
La mégalomanie de la reine prend dès l’entame des proportions exubérantes qui nous transportent dans un univers décalé à la lisière des Monty Pythons et de Mel Brooks (notamment avec cette partie d’échecs reconstituée à échelle humaine devant son trône ridiculement tape à l’œil). Une fois n’est pas coutume, Julia Roberts semble prendre un plaisir fou à jouer les méchantes. Voilà en tout cas un rôle qui lui sied bien mieux que celui de la fée clochette dans Hook. Les dons d’esthète de Tarsem – sa marque de fabrique pourrait-on dire – s’adaptent fort bien à l’univers du conte de fée, chaque plan donnant le sentiment de s’être échappé d’un livre illustré pour prendre vie à l’écran. Certaines réinventions se révèlent singulières, comme le fameux miroir que la reine n’atteint qu’après avoir traversé une paroi liquide qui la transporte dans un monde parallèle aquatique où son reflet refuse obstinément de vieillir, ce qui n’est pas sans évoquer (de manière inversée) le mythe du portrait de Dorian Gray. La magie prend d’ailleurs des tournures inhabituelles dans cette version de Blanche Neige, à l’image de ces pantins de bois géants qui attaquent nos héros, manipulés à distance par le reflet de la reine, ou de cette effrayante bête de la forêt échappée du folklore alpin (mi-dragon mi-démon) qui cache bien son jeu.
Sage déconstruction
Quelques scènes d’action burlesques ponctuent le métrage, comme le combat contre les brigands géants (qui sont en réalités des nains montés sur échasses !). L’inversion des rôles lors du fameux baiser « non consenti » s’avère tout aussi délectable. Le film semble ainsi vouloir jouer le jeu de la déconstruction du conte original, suivant la trace d’un Princess Bride ou d’un Stardust. Sans doute ne va-t-il pas assez loin dans cette démarche. Malgré certaines répliques invitant à la réinvention des lieux communs (« Il est temps de changer l’histoire » dit Blanche Neige, « Non, ces histoires ont fait leur preuve, elles ont été testées et approuvées » répond le prince), l’entreprise manque cruellement d’impertinence. D’autant que simultanément sortait sur les écrans un Blanche Neige et le chasseur beaucoup plus audacieux. Avec le talent visuel de Tarsem et son envie manifeste d’assumer le caractère absurde de plusieurs séquences, nous aurions pu rêver d’un grain de folie surréaliste à la Terry Gilliam, quelque part dans le sillage des Aventures du Baron de Munchausen. Nous en sommes loin hélas, malgré quelques fulgurances réjouissantes. Le film reste donc très sage, à l’image de son générique de fin coloré et joyeux, à mi-chemin entre Disney et Bollywood, où Lily Collins chante à tue-tête « I Believe in Love ».
© Gilles Penso
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