Le vieux Scrooge, modèle d’avarice et d’antipathie, prend les traits de Reginald Owen dans cette adaptation populaire du célèbre conte de Dickens…
« A Christmas Carol » est le conte de Noël par excellence, l’histoire qu’il faut adapter sur un rythme régulier pour pouvoir la remettre sans cesse au goût du jour et la faire redécouvrir à toutes les générations de jeunes spectateurs pendant les fêtes de fin d’année. Écrite en 1843 par Charles Dickens, cette fable atemporelle a été montée sur les planches un nombre incalculable de fois et portée à l’écran dès 1901. À partir du 25 décembre 1934, l’acteur Lionel Barrymore interprète le personnage principal, Scrooge, pour une adaptation radio qui sera rejouée tous les ans. Lorsque le studio MGM prépare une nouvelle version filmée du conte, c’est logiquement Barrymore qui est envisagé dans le rôle principal. Mais le comédien souffre alors de crises d’arthrite et doit se désister, cédant sa place à Orson Welles pour la représentation radiophonique et à son ami Reginald Owen pour le film. Il prête tout de même sa voix à la bande-annonce du long-métrage dont la réalisation est confiée à Edwin L. Marin. La version de 1938 présente la particularité de réunir pour la première (et unique) fois trois membres de la famille d’acteurs Lockhart : Gene dans le rôle du comptable Bob Cratchit, sa femme Kathleen dans celui de son épouse et leur fille June qui interprète la jeune Belinda. Pour une œuvre célébrant les valeurs familiales, on ne pouvait rêver mieux !
Étant donnée la courte durée du film (69 minutes) et la volonté d’attirer le public le plus large, certains des aspects les plus sombres de l’histoire originale sont volontairement passés sous silence et plusieurs péripéties et personnages secondaires évacués du scénario. L’histoire se situe toujours dans le Londres du 19ème siècle, la veille de Noël, et s’intéresse donc au vieux Ebenezer Scrooge. Pingre, méfiant, antipathique, grincheux et acariâtre, l’homme a tout pour plaire ! Son interjection préférée est « humbug », qu’on pourrait traduire par « foutaises ». Tout ce qui ne touche pas directement aux activités commerciales, aux affaires sérieuses et à l’amassement d’argent n’a aucun intérêt à ses yeux. Autant dire que les fêtes de Noël lui passent largement au-dessus de la tête. Il dirige avec autorité une échoppe d’usurier, martyrise son employé Bob Cratchit et passe seul toutes ses soirées, y compris celle du 24 décembre. Mais ce soir-là, quelque chose d’imprévu survient dans sa grande maison sinistre : plusieurs spectres s’invitent à tour de rôle chez lui et s’apprêtent à bouleverser sa vie…
Fantômes et bons sentiments
Dès son entrée en matière, A Christmas Carol nous offre de jolies images d’Épinal de l’Angleterre hivernale des années 1800. La neige s’écoule au-dessus des rues commerçantes, les hommes en haut de forme croisent les vendeurs ambulants, les enfants jouent dans la rue devant les carrioles et les chevaux. Bref, ce sont de véritables cartes postales d’époque qui semblent prendre vie sous nos yeux. La féerie s’invite lorsque Scrooge et le fantôme des Noëls passés (une fille charmante aux allures de fée incarnée par Ann Rutherford) s’envolent au-dessus de la ville et revisitent l’enfance du vieil homme. Les autres spectres sont celui de l’ancien associé de Scrooge (Leo G. Carroll, futur personnage récurrent de la série Des agents très spéciaux), le fantôme des Noëls présents (Lionel Braham, campant une sorte de mixage entre Zeus et le Père Noël) et celui des Noëls futurs (une sinistre silhouette encapuchonnée qui évoque la mort). La mise en scène laisse entendre que ces esprits pourraient bien être imaginaires, nés de la mauvaise conscience de Scrooge. Après chaque entrevue avec un fantôme, il se retrouve en effet seul dans son lit, s’agitant dans le vide… Et si c’était un rêve ? Certes, A Christmas Carol est dégoulinant de bons sentiments, moralisateur à outrance, gorgé de sermons et de chants religieux. Mais finalement, un peu de guimauve pour un conte de Noël, quoi de plus normal ? Edwin L. Marin continuera par la suite à réaliser une grande quantité de longs-métrages, parmi lesquels le sympathique Homme invisible contre la gestapo.
© Gilles Penso
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