Cette relecture télévisée du célèbre mythe cache derrière son apparente fidélité au texte de Stoker quelques écarts surprenants…
Depuis que le cinéma existe ou presque, le comte Dracula tel qu’il fut dépeint par Bram Stoker en 1897 vient régulièrement faire son apparition sur les petits ou les grands écrans du monde entier, comme s’il était naturel que cette créature de la nuit s’invite sans cesse auprès des spectateurs, à la manière d’un animal soumis à un rythme de vie cyclique. Deux ans après l’excessif Van Helsing de Stephen Sommers, six avant la relecture bizarre de Dario Argento, Granada et la BBC initient ainsi une nouvelle variante autour d’un mythe connu. C’est donc pour la télévision qu’est conçu ce Dracula, scénarisé par Stewart Harcourt et réalisé par Bill Eagles. Les deux hommes sont des habitués du petit écran. Harcourt est en effet l’auteur de plusieurs épisodes de Miss Marple et Hercule Poirot et Eagles metteur en scène pour Les Experts, Cold Case et Numb3rs. Mais comment raconter une nouvelle fois une histoire déjà portée des centaines de fois à l’écran tout en s’efforçant de surprendre le public ? S’il refuse de moderniser le mythe pour conserver son cadre historique, le Dracula de 2006 ne cherche pas pour autant la fidélité absolue à sa source littéraire. C’est à un exercice d’équilibre intéressant que se livre donc ce téléfilm.
Nous sommes 1899. Peu après s’être fiancée à Lucy Westenra (Sophia Myles), Lord Arthur Holmwood (Dan Stevens) découvre qu’il est atteint de la syphilis, ce qui est tout de même assez ballot. Non contente de mettre en péril son mariage, cette maladie pourrait bien être fatale (pour lui et pour sa fiancée). En désespoir de cause, il entre en contact avec un groupe occulte, la Fraternité, dirigé par un certain Alfred Singleton (Donald Sumpter). Ce dernier prétend connaître quelqu’un qui peut le soigner, mais rien n’est gratuit en ce bas-monde. Ce quelqu’un, c’est l’énigmatique comte Dracula (Marc Warren) qui vit quelque part dans les montagnes de Transylvanie. Or la meilleure amie de Lucy, Mina Murray (Stephanie Leonidas), est fiancée à l’avocat Jonathan Harker (Rafe Spall) qui est engagé par Holmwood pour vendre plusieurs propriétés à Dracula. Le jeune homme se met donc en route pour la Transylvanie, ignorant bien sûr que l’homme qu’il s’apprête à rencontrer est en réalité un vampire vieux de neuf cents ans.
Maladies honteuses et sociétés secrètes
Le scénario de Stewart Harcourt présente ainsi l’originalité de coller de près au roman de Bram Stoker et à ses péripéties tout en éclairant plusieurs aspects sous un jour inattendu. C’est non sans surprise que nous voyons certains personnages secondaires passer au premier plan ou des problématiques liées à l’époque intégrées effrontément au récit. La syphilis devient ainsi l’élément déclencheur de l’aventure et les sociétés secrètes s’invitent dans l’intrigue. Ces remaniements intéressants font tout le sel de cette nouvelle version. Côté casting, l’élégance et le charisme sont de mise, avec en prime un Abraham Van Helsing campé par le vénérable David Suchet (l’indéboulonnable interprète d’Hercule Poirot dans une série fleuve qui se sera déployée entre 1989 et 2013). Dommage en revanche que le rôle de Dracula ait été confié à Marc Warren qui, malgré son talent, n’a ni la présence physique ni le magnétisme nécessaires pour entrer pleinement dans la peau du personnage. À cette – importante – réserve près, le Dracula de Bill Eagles est à marquer d’une pierre blanche, notamment grâce à son regard « frais » sur une histoire tant de fois contée et à ses écarts audacieux.
© Gilles Penso
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