Cette remarquable anthologie de science-fiction décline sous toutes ses formes l’impact de la technologie sur la vie des humains…
BLACK MIRROR
2011/2023 – GB
Créée par Charlie Brooker
Avec Wunmi Mosaku, Monica Dolan, Daniel Lapaine, Hannah John-Kamen, Michaela Coel, Aaron Paul, Anjana Vasan, Kenneth Collard, Joshua James
THEMA FUTUR
Il n’est sans doute pas exagéré d’affirmer que Black Mirror est l’anthologie de science-fiction la plus importante, la plus marquante et la plus influente de l’histoire de la télévision depuis La Quatrième dimension. Son créateur, Charlie Brooker, n’est pas un nouveau venu sur le petit écran. Notre homme pratique la télévision depuis le début des années 2000. L’une de ses créations les plus intéressantes était jusqu’alors Dead Set, une série d’horreur satirique racontant l’invasion du plateau d’une émission de téléréalité par une horde de zombies. En s’attaquant à Black Mirror, il décide d’adopter le même format que Rod Serling sur La Quatrième dimension : des épisodes autonomes mettant en scène des personnages différents dans des univers bien distincts. Le point commun qui relie chacune de ces histoires est une démonstration (souvent pessimiste, pour ne pas dire alarmante) de l’impact de la technologie sur notre quotidien et sur nos comportements à travers le prisme de la science-fiction, la grande majorité des intrigues se situant dans un futur plus ou moins proche. Pour autant, Brooker ne veut pas s’ériger en donneur de leçon, pas plus qu’il ne souhaite diaboliser la technologie. Son constat est souvent sans appel mais laisse tout le loisir aux téléspectateurs de tirer leurs propres conclusions.
« Le miroir noir du titre est celui que l’on trouve sur tous les murs, sur tous les bureaux, dans la paume de toutes les mains : l’écran froid et brillant d’une télévision, d’un moniteur, d’un smartphone », explique Brooker (1). Cet écran qui, une fois éteint, nous renvoie notre propre image. Pour illustrer son propos, il construit les histoires de Black Mirror sur le principe du « et si… ? ». Que se passerait-il si les gens les plus pauvres avaient le moyen de gagner leur vie en pédalant pour alimenter la société en énergie électrique ? S’il était possible d’enregistrer dans un disque dur interne tout ce que nos yeux voyaient et tout ce que nos oreilles entendaient ? Si l’on pouvait ressusciter les défunts en exploitant les données collectées sur Internet ? Si les personnages virtuels pouvaient se présenter aux élections ? Si des « coachs de séduction » utilisaient un outil high-tech pour assister leurs clients ? Si l’existence des citoyens était régie par la note que leur donnent les autres via une application ? Si les gens en fin de vie s’immergeaient dans une réalité virtuelle ? Si un « mauvais buzz » dans les médias conduisait à la mort ?
« Et si… ? »
Les concepts fous qui s’enchaînent au fil des saisons très distendues de Black Mirror (diffusées respectivement en 2011, 2013, 2016, 2017, 2019 et 2023) font froid dans le dos et donnent le vertige, parce que derrière le filtre de l’anticipation et de la SF se cache une réalité très tangible : notre asservissement progressif (voire notre addiction) aux machines, aux intelligences artificielles et à l’image que renvoient de nous les réseaux sociaux. Une fois n’est pas coutume dans une série d’anthologie, la grande majorité des épisodes possèdent le même niveau qualitatif, du double point de vue de l’écriture et de la mise en scène. Et si quelques stars s’invitent dans la série, notamment dans la sixième saison (Salma Hayek, Josh Hartnett, Kate Mara, Aaron Paul, John Hamm), ce n’est jamais au détriment de la crédibilité des personnages qui restent tous plausibles… et désespérément humains. Car le miroir du titre est à peine déformant. Lorsqu’un épisode s’achève et que l’écran devient noir, chaque téléspectateur découvre sa propre silhouette, qu’il peut sans mal plaquer sur chaque protagoniste en se posant la question fatidique : « et si ? » Et si c’était possible ? Et si ça arrivait demain ? Et si ça existait déjà ?
(1) Extrait d’une interview publiée dans « The Guardian » en décembre 2011.
© Gilles Penso
Partagez cet article