Ce western-spaghetti post-apocalyptique s’efforce d’adapter l’une des œuvres les plus complexes et les plus insaisissables de Stephen King…
THE DARK TOWER
2017 – USA
Réalisé par Nikolaj Arcel
Avec Idris Elba, Matthew McConaughey, Tom Taylor, Katheryn Winnick, Nicholas Pauling, Nicholas Hamilton, Jackie Earle Haley, Dennis Haysbert, Claudia Kim
THEMA FUTUR I SAGA STEPHEN KING
« La Tour sombre » occupe une place très particulière dans l’œuvre de Stephen King. Il ne serait pas exagéré de dire qu’il s’agit de sa création la plus longue, la plus complexe et la plus importante, ne serait–ce que parce qu’il l’a entamée alors qu’il n’avait que dix–neuf ans et qu’il l’a achevée quarante ans plus tard. Le premier volume, « Le Pistolero », s’intéresse à Roland de Gilead, une sorte d’émule du Clint Eastwood des westerns spaghetti de Sergio Leone. Errant dans le désert d’un monde post–apocalyptique, il est à la recherche d’un mystérieux homme en noir. Lui seul saura répondre à ses questions liées à la Tour Sombre, un édifice mythique sur lequel semble reposer l’équilibre de ce monde–ci et de tous les autres. La rumeur d’une adaptation de la saga à l’écran commence à courir en 2009, alors que J.J. Abrams envisage d’en tirer une série télévisée dans la foulée de Lost mais ne donne finalement pas suite à cette idée. L’adaptation de « La Tour sombre » sera finalement un film co–écrit par Akiva Goldsman et Jeff Pinkner, produit par Ron Howard et réalisé par Nikolaj Arcel. Le rôle principal est confié à Idris Elba, son charisme, sa présence et l’intensité de son jeu contrebalançant son absence de ressemblance avec le personnage illustré par Michael Whean dans les romans de Stephen King.
Le casting est d’ailleurs le point fort du film de Nikolaj Arcel. Sous le costume de l’homme en noir, Matthew McConaughey crève l’écran et aurait même tendance à voler la vedette au pistolero. Son sourire carnassier, son regard fou et sa cruauté désinvolte sont conformes à l’image que le lecteur se fait de Randall Flagg. Il n’aurait pas dépareillé dans Le Fléau de Mick Garris ou même dans La Tempête du siècle sous la défroque du maléfique Linoge dont il semble être une sorte d’alter-ego. Jake lui-même, incarné par le jeune Tom Taylor, nous convainc sans conteste en pré-adolescent en bute à l’incompréhension du monde adulte ne voyant dans ses cauchemars récurrents et ses troubles de la personnalité qu’une déficience psychologique alors qu’il s’agit en réalité d’un éveil de conscience vers d’autres mondes possibles. Le duo qu’il forme avec Roland est le moteur narratif du film, comme c’était le cas dans la seconde partie du roman « Le Pistolero », mais en l’état La Tour sombre est un film hybride qui semble ne pas trop savoir sur quel pied danser, à mi-chemin entre l’étrangeté cauchemardesque de la prose de King et un spectacle tout public censé rameuter le public des sagas Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter. Dire que le film manque d’audace et d’ambition en brassant trop large serait injuste. Par bien des aspects, c’est même un film assez « anti-hollywoodien ». Mais l’on se perd en conjectures sur le point de vue adopté pour narrer cette histoire.
Un résumé en accéléré de toute la saga
Dans le texte de King, tous les événements étaient vus à travers le regard de Roland. Sa quête, aux allures de western spaghetti dans un monde rétro-futuriste dévasté, offrait aux lecteur un plongeon dans une atmosphère inédite et surprenante. Dans le film, le personnage principal est Jake. Nous le suivons dans sa vie quotidienne new-yorkaise, opposé à sa mère et son beau-père qui ne le comprennent pas, jusqu’à ce qu’il s’échappe de son monde pour surgir dans celui du pistolero et faire équipe avec lui. Ce changement radical de point de vue semble malheureusement avoir été bien plus dicté par des contraintes financières qu’artistiques. De toute évidence, s’attacher à un cowboy taciturne au lieu d’un garçon de onze ans aurait pu rebuter le public peu friand de western. Mais c’était pourtant l’essence même du récit initial, la source même de son originalité. Une autre erreur consiste à donner beaucoup trop d’importance à l’homme en noir, qui apparaît régulièrement à l’écran pour signifier sa malfaisance à un public qui l’a pourtant saisie d’emblée et n’a pas besoin qu’on enfonce le clou. Du coup, le redoutable sorcier perd son aura de mystère pour se muer en simple méchant dont les desseins nous sont révélés trop tôt et bien trop explicitement. Puisant ses éléments narratifs dans les trois premiers romans, le film finit par ressembler à un résumé en accéléré de toute la saga qui risque de ne convaincre ni les fans de la première heure (criant à la trahison, et on ne saurait leur donner tort), ni les novices (perdus dans un film insaisissable qui ne leur laisse le temps de s’attacher à aucun personnage). D’autres longs-métrages ainsi qu’une série télévisée parallèle narrant la jeunesse du pistolero étaient prévus par Ron Howard et Akiva Goldsman, mais les piètres résultats du premier film au box-office ont remis en question le prolongement de la saga.
© Gilles Penso
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