Librement adapté d’une nouvelle de Stephen King, cette énième variation sur le monstre du placard s’en prend aux enfants dont les parents ne s’occupent pas…
THE BOOGEYMAN
2023 – USA
Réalisé par Rob Savage
Avec Sophie Thatcher, Chris Messina,Vivien Lyra Blair, David Dastmalchian, Marin Ireland, Maddie Nichols, Lisa Gay Hamilton
THEMA DIABLE ET DÉMONS I FANTÔMES I SAGA STEPHEN KING
Le Croque-Mitaine entend prendre le spectateur à la gorge dès les premières images : dans une chambre d’enfant à la lumière tamisée, un gros plan sur un jeune enfant en pleurs dans son lit, visiblement en proie à des terreurs nocturnes. La caméra balaye la chambre à priori vide en un mouvement circulaire révélant la porte ouverte du placard. Deux yeux apparaissent dans le noir abyssal ; la caméra continue son travelling et une fois le bambin à nouveau hors-champs, une ombre furtive traverse l’image en direction du lit, accompagnée de grognements monstrueux. Les pleurs cessent subitement. Écran noir… La mort d’un enfant devrait nous donner des sueurs dans le dos (revoyez Simetierre de Mary Lambert ou Ne vous retournez pas de Nicholas Roeg) mais en l’absence totale de contextualisation et avec un réalisateur bien moins subtil qu’il ne l’imagine, la scène tombe à plat pour quiconque a vu plus d’un film d’horreur sorti au cours des quinze dernières années. Si depuis l’avènement des services de streaming on déplore que de nombreux films soient privés de sortie en salles au profit d’une diffusion télévisée (voire sur téléphone pour les hérétiques), c’est l’inverse qui est arrivé à ce Croque-Mitaine, destiné initialement à sortir sur Disney+ avant que des projection-tests ne fassent prendre conscience aux producteurs du potentiel de leur produit. Cette information mise en avant dans le dossier de presse est à priori destinée à rassurer le spectateur, mais devient un cas d’étude édifiant sur les différentes façons d’envisager cinéma et production télévisuelles.
Si en termes de cadrage et découpage, le réalisateur Rob Savage s’applique à faire du cinéma dès qu’il s’agit de susciter la peur, il ne semble pas savoir quoi faire de ses personnages le reste du temps. Alors il recycle les lieux communs du genre, comme ce personnage principal d’adolescente atypique détestée par les filles les plus populaires de son lycée, un portrait peint au pochoir lors d’une séquence cliché voyant la jeune fille arriver au lycée, écouteurs sur les oreilles et marchant seule, vêtue de noir, au milieu des élèves aux tenues colorées, une musique pop/rock en guise de couverture sonore achevant d’illustrer son aliénation dans ce monde décidément trop « conventionnel ». Au rayon des grosses ficelles déjà bien usées chez James Wan (Conjuring et tous ses dérivés, Mama ou encore Smile), les scénaristes ont également recours à l’enquête secondaire sur les traces des précédentes victimes du croque-mitaine, avec l’inévitable moment où l’héroïne prend conscience de la nature de la menace qui pèse sur sa famille et accourt chez elle pour les mettre en garde. Trop tard bien sûr puisque, aussi vrai que le téléphone sonne toujours lorsqu’on est dans son bain, les monstres et les esprits frappent toujours lorsque le héros s’en allé percer ses secrets à la bibliothèque ou dans la vieille maison abandonnée à l’autre bout de la ville. L’écriture et le rythme du Croque-Mitaine peinent à cacher le cahier des charges typique des productions destinées aux plateformes de streaming : une entrée en matière directe digne d’un film pornographique moderne (l’évolution stylistique et thématique de ce « genre » entretient de nombreuses points communs avec le Fantastique), scènes chocs disséminées métronomiquement pour vous dissuader d’appuyer sur le bouton STOP de votre télécommande (ou de votre ordinateur ou… de votre téléphone !!), le tout assaisonné de personnages et situations empruntant les sentiers battus afin de prendre tous les raccourcis dramatiques possibles pour faciliter l’attention et la compréhension immédiate des enjeux pour le spectateur, généralement moins attentif à l’action dans son salon que dans une salle obscure.
« Don’t believe the hype! »
Le Croque-Mitaine est tiré d’une nouvelle de Stephen King parue dans les années 70, écrite à la première personne avec unité de lieu, de temps et d’action, voyant le protagoniste raconter ses mésaventures fantastiques à son thérapeute. En guise de caution artistique, une anecdote du dossier de presse a été reprise dans de nombreuses critiques : Stephen King en personne a déclaré que le film lui avait « collé une sacrée trouille » et « rivalisait avec Shining ». Des commentaires qui interrogent sur la bonne foi de l’auteur à la vision du film mais les bonimenteurs de 20th Century Studios en rajoutent : le montage aurait ainsi dû être revu suite aux projections test, pour ajouter du mou après chaque apparition du monstre, car le public criait tellement qu’il n’entendait plus les dialogues qui suivaient. Et le buzz a fonctionné un temps sur les réseaux sociaux. Preuve que la critique, la vraie, a aujourd’hui fort à faire pour se faire entendre alors que, plus que jamais, les équipes commerciales et de relation publique ont la main mise sur les réseaux sociaux pour étaler leur auto-promo, relayée par l’équivalent critique des influenceurs. Mais point besoin de tirer sur l’ambulance puisqu’il semblerait que Le Croque-mitaine ne casse finalement pas autant la baraque au box-office que prévu. Gageons toutefois que le thème reviendra très prochainement hanter les placards sur écran, petit ou grand !
© Jérôme Muslewski
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