Luis Buñuel enferme les invités d’un dîner mondain dans une luxueuse demeure qui refuse soudain de les laisser sortir…
EL ANGEL EXTERMINADOR
1962 – MEXIQUE
Réalisé par Luis Buñuel
Avec Silvia Pinal, Jacqueline Andere, Augusto Benedico, Luis Beristain, Antonio Bravo, Claudio Brook, Cesar Del Camno, Enrique Rambal, Rosa Elena Durgel
THEMA FANTÔMES I MAINS VIVANTES
Aujourd’hui considéré comme un classique et comme l’une des œuvres les plus marquantes de Luis Buñuel, L’Ange exterminateur fut réalisé dans des conditions très précaires. Tout est parti d’une histoire co-écrite par Buñuel et Luis Alcoriza sous le titre « Los Náufragos de la Calle Providencia », autrement dit « Les Naufragés de la rue Providence ». Le titre définitif, L’Ange exterminateur, est emprunté à une pièce de théâtre que José Bergamin, ami de Buñuel, est en train d’écrire mais ne parvient jamais à finir. Le dramaturge ne voit aucun inconvénient à céder ce titre au cinéaste, dans la mesure où il l’a lui-même trouvé dans la Bible, plus précisément dans le Livre de l’Apocalypse. Le film est tourné en moins de six semaines, du 29 janvier au 9 mars 1962, dans les studios mexicains de Churubusco, où Buñuel s’afflige de découvrir qu’il manque de tout. L’équipement est rare ou absent, les accessoires réduits à leur plus simple expression, bref il va lui falloir bricoler s’il veut parvenir à ses fins. En contrepartie, le réalisateur possède pour la première fois un contrôle total sur son œuvre et peut se permettre de demander à ses acteurs d’improviser des séquences entières.
L’Ange exterminateur s’ouvre sur une réception mondaine que donne le riche Nobile (Enrique Rambal) dans son hôtel particulier après une soirée à l’Opéra. Une vingtaine de personnes de la meilleure société se trouve ainsi réunie autour d’une table abondamment garnie. Assez curieusement, tous les domestiques, sans raison valable, ont abandonné leur poste, poussés par une volonté inconnue. Seul reste le maître d’hôtel, qui effectue le service. Au moment de partir, personne ne peut se décider à prendre congé. Après une nuit étrange, il devient évident qu’une force invisible les retient prisonniers. Incapables de franchir le seuil de la riche demeure, l’hôte et ses invités sombrent peu à peu dans l’épuisement, la faim et la haine… Et Luis Buñuel saisit l’occasion pour se livrer à l’une de ses activités préférées : la satire de la haute bourgeoisie. Car dans une telle situation, le vernis craque assez rapidement. Les clans se créent, les instincts les plus bas se révèlent, jusqu’à ce que des envies de viol et de meurtre ne commencent à sourdre sérieusement.
Un hôtel très particulier
Jamais le scénario n’explique pourquoi nos vingt protagonistes sont incapables de s’échapper. Hallucination collective ? Autosuggestion ? Esprit maléfique empêchant toute évasion ? Toujours est-il que l’hôtel particulier agit comme une maison hantée, animée d’une vie propre, refusant subitement de libérer ses captifs. Buñuel se laisse même aller à une autre de ses disciplines favorites, le surréalisme, au cours d’une scène qu’on croirait issue de La Bête aux cinq doigts : épuisée et en proie à d’étranges rêves, une femme voit une main ramper sur le sol et l’agresser au milieu de la nuit ! Cet oppressant huis-clos est servi par un jeu d’acteur impeccable, avec en tête Enrique Rambal, et par une très belle photographie en noir et blanc signée Gabriel Figueroa. Le dénouement est une sorte de gag teinté d’humour noir qui laisse entendre que le cauchemar est sur le point de recommencer. Présenté en avant-première au Festival de Cannes de 1962, L’Ange exterminateur sort dans les cinémas mexicains deux ans plus tard. La critique du monde entier l’acclamera. En 2016, l’auteur Tom Cairns et le compositeur Thomas Adès en tirent un opéra qui fera le tour du monde avec un certain succès.
© Gilles Penso
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