Les habitants d’un petit village sont terrifiés par des créatures monstrueuses qui rôdent dans les bois voisins…
THE VILLAGE
2004 – USA
Réalisé par M. Night Shyamalan
Avec Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Adrien Brody, William Hurt, Sigourney Weaver, Brendan Gleeson, Cherry Jones
THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA M. NIGHT SHYAMALAN
Sixième sens, Incassable, Signes… En l’espace de quelques films, M. Night Shyamalan a dévoilé une personnalité forte, un style singulier et une approche résolument originale de thèmes pourtant très classiques du cinéma fantastique (les fantômes, les super-héros, les extra-terrestres). Pour Le Village, le réalisateur cherche une fois de plus à provoquer la surprise en menant ses spectateurs par le bout du nez. Bizarrement, l’inspiration lui vient de deux œuvres aux antipodes : le roman « Les Hauts de Hurlevent » (1892) et le film King Kong (1933). Shyamalan construit donc l’intrigue du Village en mixant l’envie de bâtir un drame mystérieux situé en plein 19ème siècle (hérité du livre d’Emily Brontë) et celle de décrire une peuplade en vase clos terrifiée par une entité monstrueuse vivant dans la forêt (comme dans le film de Schoedsack et Cooper). Soucieux de la patine réaliste de son film, il utilise comme guide visuel les peintures de l’artiste pennsylvanien Andrew Wyeth, fait bâtir un décor de village complet (qui nécessite une équipe de 300 personnes et onze semaines de travail) et soumet ses acteurs à un « camp d’entraînement » visant à les familiariser avec les us et coutumes du 19ème siècle.
Le film s’intéresse à une petite communauté isolée qui vit en autarcie dans un village rustique. Personne n’ose s’aventurer au-delà des dernières maisons, et encore moins dans les bois qui entourent le village, car des créatures terrifiantes et redoutables (« ceux dont on ne parle pas ») y rôdent. Depuis bien longtemps, une sorte d’accord tacite existe entre les villageois et ces entités monstrueuses, la trêve n’étant possible que si chacun reste sur son territoire sans empiéter sur celui des autres. Cette communauté accorde une importance cruciale à certaines couleurs. Le rouge est banni car il attire les créatures. Le jaune au contraire protège les habitants. Mais toutes ces traditions séculaires risquent d’être bouleversées lorsqu’un besoin impérieux de médicaments se fait ressentir au sein du village. Il devient alors nécessaire d’envisager une expédition vers la grande ville la plus proche, quitte à devoir traverser les bois interdits…
« Ceux dont on ne parle pas »
Le Village se pare d’un casting de premier ordre. Joaquin Phoenix incarne Lucius, un homme taciturne et sans peur qui affirme d’emblée qu’« il y a des secrets partout dans ce village ». William Hurt est Edward, l’un des membres du clan des anciens, sage et charismatique. Sigourney Weaver joue la mère de Lucius, qui en pince secrètement pour Edward. Bryce Dallas Howard entre dans la peau d’Ivy, une jeune fille aveugle et effrontée qui risque de faire basculer définitivement le destin de cette société anti-progressiste aux allures de communauté Amish. M. Night Shyamalan applique à merveille les leçons enseignées par Steven Spielberg dans Les Dents de la mer. La menace monstrueuse ne nous est donc pas montrée frontalement mais évoquée par la musique, les cadrages, les bruitages, le regard des comédiens… Tout se joue hors champ. Si les créatures apparaissent furtivement sous leurs grands manteaux rouges, la mise en scène privilégie surtout la suggestion. Le cinéaste pousse très loin l’emploi métaphorique des couleurs, une démarche déjà amorcée dans Sixième sens (avec ses teintes rouges hautement symboliques). D’autres liens avec le reste de sa filmographie apparaissent en filigrane, comme lorsque Lucius affirme : « je pense seulement à ce que je dois faire, pas à ce qui risque d’arriver. » Cette thématique sera déclinée plus tard dans After Earth. Quant à l’imagerie du conte de fées, elle resurgira dans La Jeune fille de l’eau, donnant une fois de plus la vedette à Bryce Dallas Howard. Le Village nous offre un coup de théâtre vertigineux – le gimmick préféré de Shyamalan – mais le concept qui sous-tend son scénario se heurte à un certain nombre d’incohérences. Pourquoi confier le secret du village à une jeune fille aveugle, lui faire courir tous les risques et mettre en péril l’équilibre de la communauté alors qu’un ancien aurait pu traverser la forêt à sa place ? Malgré toutes les bonnes intentions du film, notre suspension d’incrédulité en prend un sacré coup. C’est dommage, car Le Village est par ailleurs une œuvre remarquable, à classer parmi les plus abouties de son auteur.
© Gilles Penso
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